Selon l’auteur de 3: Une aspiration au dehors (Flammarion), il faut en finir avec la famille qui «favorise le développement de structures mentales autoritaires, voire fascistes» et permet l’insupportable «matinalisme».
Qui n’a pas, à quinze ans, claqué rageusement les portes de la demeure familiale ? Ou, Les nourritures terrestres de Gide à la main, vociféré sur ses parents : « Familles, je vous hais ! » ? C’est à pleins poumons aussi, qu’il nous est arrivé d’entonner quelques paroles salvatrices de la chanson de Renaud:
On choisit ses copains mais rarement sa famille
Y’a un gonze mine de rien qu’a marié ma frangine
Il est devenu mon beauf un beauf à la Cabu
Imbécile et facho mais heureusement cocu
Quand l’soleil brillera que pour les cons
Il aura les oreilles qui chauffent
Mon Beauf
Las ! Bas du front et mous du bulbe, endoctrinés malgré nous, nous avons fini par adhérer à une existence codifiée par les schémas patriarcaux séculaires. Pour bon nombre d’entre nous, nous nous sommes appariés comme de vulgaires chaussettes. Pis, parfois, nous avons fondé des familles.
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Maintenant, corsetés dans des vies étriquées que nous n’arrivons pas à déboutonner, c’est Le Bagad de Lann-Bihoué que nous chantons, avec Souchon :
Tu la voyais pas comme ça ta vie
Tapioca, potage et salsifis
On va tous pareil, moyen, moyen (…)
Mais qui t’a rangé à plat dans ce tiroir
Comme un espadon dans une baignoire ?
T’es moche en week-end, les mioches qui traînent (…)
Bonne nouvelle : il n’est pas trop tard pour secouer le joug d’un conditionnement social oppressif. Quitter les sentiers battus et réinventer notre rapport à l’autre, c’est possible, grâce au philosophe et soutien de Jean-Luc Mélenchon, Geoffroy de Lagasnerie. Il nous l’explique dans l’essai intitulé 3. Une aspiration au dehors qui paraît cette semaine et s’adresse « aux dissidents de la famille. »
Une œuvre de salut public
Reçu sur France Inter, lundi matin, par Léa Salamé, le penseur nous a vendu une conception enthousiasmante, novatrice et généreuse des relations humaines, en parfaite adéquation avec notre joyeuse époque. Ce mode d’emploi pour une vie sociale réussie repose sur l’observation du « trouple » qu’il forme depuis 10 ans avec ses acolytes : Didier Eribon, le sociologue et Édouard Louis l’écrivain, épigone d’Annie Ernaux. « Trois amis, trois hommes, trois âmes, qui ne peuvent s’imaginer vivre l’un sans l’autre », comme l’a déclamé Léa Salamé, avec les accents de Montaigne évoquant La Boétie.
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Il s’agit dans cet ouvrage de raconter et surtout de théoriser cette amitié, modèle philosophique digne d’être partagé. Notre jeune éclairé fait ici, nous l’allons voir, œuvre de salut public : il veut aider tous les ringards fourvoyés à mieux vivre. Pour notre sage, en effet, la famille est associée « à la déperdition, à la tristesse et à l’ennui ». Elle est, précise-t-il, citant Pierre Bourdieu : « le lieu d’une sorte d’égoïsme collectif ». Elle « favoriserait même le développement de structures mentales autoritaires, voire fascistes ». On comprend mieux le projet de voler au secours de toutes ces âmes qui, non contentes d’être damnées, constituent un réel danger pour la société. Du récit d’une vie qui s’organise autour de l’amitié, on s’achemine, dans cet essai, vers « une réflexion critique sur les normes sociales et culturelles. » ; c’est diablement habile.
Le cercle de ses amis
C’est la trinité qui conjure la fadeur et la monotonie de l’existence : « Vivre, c’est vivre à trois, c’est être ému à trois, c’est assister à un concert ou à un évènement à trois. » « Nous fêtons nos anniversaires à trois, Noël à trois, la nouvelle année à trois, nous voyageons à trois », explique notre oracle, avec le débit d’une mitraillette. Et puis, les amis de nos amis devenant, c’est bien connu, nos amis, on élargit son monde.
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Le modèle proposé par le « trouple » n’a pas comme ciment la seule sexualité. Du reste, Léa Salamé souligne bien que les trois amis ne vivent pas sous le même toit. Soyons clair: penser faire la révolution sociale grâce la révolution sexuelle est, pour notre penseur, un projet dépassé. Il s’agit maintenant d’inventer des « formes relationnelles beaucoup plus subversives. » L’amitié, ajoute notre théoricien, favorise « une vie qui n’a pas de centre », « la démultiplication des liens », donc. Elle ouvre à tous les possibles labiles qu’affectionne notre époque, là où la cellule familiale sclérose.
Notre exalté va plus loin, étendant sa réflexion à la politique qu’il s’agit de rendre plus ouverte. « La politique devrait avoir pour projet de se donner le plus d’amitiés possibles », nous dit ce sectateur de LFI, parti dont on connaît la légendaire ouverture à autrui… Il faudrait, selon notre génie, en finir avec le Ministère des Familles et créer un Ministère de l’Amitié. « Des allocations amicales plutôt que des allocations familiales. », tel est son slogan.
À bas le matinalisme !
Il s’agit aussi de se révolter contre ceux qui ont imposé, avec leurs chiards, « le matinalisme », forme d’oppression s’il en est, à laquelle Geoffroy de Lagasnerie impute, de fait, une grande partie de l’échec scolaire. « Les gens qui ont des familles se donnent le droit d’exercer un cannibalisme moral sur ceux qui n’ont pas d’enfants. », sous prétexte qu’il faut respecter le rythme de vie des niards, explique celui qui souffre de se lever tôt. Si vous avez fait la fête toute la nuit, qu’on vous foute la paix, que diable ! Qu’on ne vous impose pas des contraintes matinales dictatoriales !
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Notre philosophe espère ainsi poser des jalons pour une conception de l’existence plus adaptée à l’évolution de notre société, épaulant ainsi les visées des Insoumis et des écologistes, thuriféraires du « droit à la paresse » et d’une vie qui fasse sens. C’est pourquoi, n’oubliant pas le contexte social, il a déclaré, à la fin de l’interview, mettre tout son espoir en LFI. Il s’est aussi dit « très ému et très touché par la stratégie des Insoumis à l’Assemblée nationale qui a fait dérailler le projet macroniste de la réforme des retraites. » Pour conclure, il a affirmé faire sien, pour les jours prochains, un slogan des précédentes manifs : « Macron, si tu nous mets 64, on te remet 68. »
Sous l’entrée : « Égoïsme », dans le Dictionnaire des idées reçues de Flaubert, on peut lire : « Égoïsme : Se plaindre de celui des autres et ne pas s’apercevoir du sien » …
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