Accueil Politique Faut-il se repentir de vouloir la reconnaissance du génocide vendéen ?

Faut-il se repentir de vouloir la reconnaissance du génocide vendéen ?


Faut-il se repentir de vouloir la reconnaissance du génocide vendéen ?

marion marechal vendee

Cher David Desgouilles,

Une fois n’est pas coutume, moi qui suis d’ordinaire l’un de vos inconditionnels, j’avoue avoir eu un peu de mal à avaler votre article sur la proposition de loi relative au génocide vendéen. C’est pourquoi, en toute amitié, je m’autorise à vous en toucher deux mots.

Vous dites, à propos de cette proposition, qu’il n’est pas question de trancher ici le débat historique, mais qu’il y a lieu de s’étonner que cette proposition ait été signée par la benjamine de l’Assemblée nationale, Marion Maréchal, en dépit de l’hostilité de principe du Front National à l’encontre des lois mémorielles.

Ne discutons pas sur le point de savoir s’il y  eut ou non, génocide. Les expressions utilisées par les intéressés en 1793 et 1794, telles que «  le Comité a préparé des mesures qui tendent à exterminer cette race rebelle »  (Barrère, 1er  août 1793), la Vendée « est morte sous notre sabre libre avec ses femmes et ses enfants » (Westermann, 23 décembre 1793), « purgeons, saignons jusqu’au blanc » (Francastel, 25 décembre 1793), « passez au fil de l’épée tout ce que vous rencontrerez d’habitants » (général Grignon, janvier 1794), « il faut nécessairement les égorger tous » (Lequinio, 26 février 1794) laissent manifestement planer un doute sur les intentions de tous ces braves gens qui, au demeurant, étaient sans doute plus taquins que méchants, et qui pensaient avant tout au bien de ceux qu’ils massacraient.

À vous lire, cher David, la vraie question serait de savoir si Marion Maréchal a commis une erreur en cosignant une proposition de loi mémorielle, suivie d’une erreur encore plus grave lorsqu’elle a tenté de se justifier. Mais prenons un peu de champ, si vous le voulez bien – puisque le premier problème porte en réalité sur le principe même de ces fameuses « lois mémorielles », et sur ce qu’il faut en penser. À ce propos, on comprend aisément ce qui conduit un républicain de vieille roche, fidèle à la « République une et indivisible », à s’opposer à des lois dont le principal objectif est de satisfaire certains groupes particuliers, et dont la conséquence certaine sera de cristalliser les communautarismes. On devine par ailleurs ce qui pousse un libéral conséquent à condamner des textes qui visent à soumettre l’histoire au contrôle étatique, à punir les contrevenants, et à restreindre de la sorte la liberté d’expression.

Mais en l’occurrence, contrairement à la loi Gayssot, à la loi Taubira ou à la loi de 2012, la proposition relative au génocide vendéen n’encourt aucun de ces deux reproches. D’une part, elle ne favorise aucun communautarisme – sauf à craindre que les habitants du département de la Vendée ne puissent s’en prévaloir aux dépens de ceux des Deux-Sèvres ou de la Loire-Atlantique. D’autre part, la reconnaissance énoncée dans la proposition ne s’accompagne d’aucune sanction spécifique : ce qui signifie que les membres émérites de la Société des études robespierristes, les théoriciens du Mélenchonisme et les amis des Bisounours pourront continuer, comme auparavant, de nier l’existence dudit génocide sans tomber sous le coup de la loi. Au total, on pourrait certes reprocher à cette proposition d’être un peu vaine – mais pas grand-chose de plus.

Pourtant, à vous en croire, mon cher David, Marion Maréchal aurait fait bien pire – en tentant de se disculper. Et en déclarant à cette occasion, sur le site Internet du Front National, avoir voulu, en signant la proposition de loi, « donner un signal d’objectivité à un moment où les repentances officielles sont toujours à sens unique ».

C’est manifestement ces derniers mots, « à sens unique », qui vous troublent le plus. En quoi, objectez-vous, la loi Gayssot, la loi Taubira sur l’esclavage et la loi de 2012 sur le génocide arménien seraient-elles à sens unique ? « Quel est donc le dénominateur commun » à ces trois textes,  « dont les Vendéens ne pourraient se targuer ? ». Le fait que les victimes aient « une gueule de métèque (…) ? »

Mais non, cher David, c’est autre chose. Quoi donc ? Allons, ne faites  pas l’innocent, la réponse figure en toutes lettres dans l’exposé des motifs de la proposition de loi : «  la République française reconnaît, à travers plusieurs lois, les différents événements qui ont marqué l’histoire internationale : Shoah, esclavage, génocide arménien. Les lois mémorielles permettent de mettre en exergue les souffrances subies par les peuples ». Précisons : par les autres peuples, auxquels furent infligés des souffrances dont la République, qui les condamne solennellement, n’est en rien coupable. Ce n’est pas elle qui a ouvert les camps d’extermination, massacré les Arméniens ou réduit les Noirs en esclavage. Le « signal d’objectivité » qu’évoque Marion Maréchal, la véritable nouveauté, c’est le fait que, si elle adoptait la proposition relative au génocide vendéen, la République accepterait pour la première fois de se regarder dans un miroir. Pour la première fois, elle reconnaîtrait – sans d’ailleurs aller jusqu’à se « repentir » – le crime terrible qui a entaché le début de sa propre histoire. Pour la première fois, elle s’interrogerait sur elle-même au lieu de se borner à condamner les crimes des autres. Je dis bien : si elle adoptait cette proposition, mais c’est évidemment sans y croire, tant il est difficile d’admettre sa propre faute.

Voilà pourquoi parler de « sens unique » est bien une question « d’objectivité », et non de «  gueule de métèque » : gageons à ce propos que la jeune élue du Vaucluse aurait signé de la même manière une proposition de loi reconnaissant la responsabilité de l’État Français dans le martyre des harkis, lors d’une autre page modérément glorieuse de notre histoire.

Telles étaient, cher David, les deux ou trois choses que j’avais à cœur de vous dire.

Votre affectionné.



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est né en 1964. Il est professeur de droit public à l’université Paris Descartes, où il enseigne le droit constitutionnel et s’intéresse tout particulièrement à l’histoire des idées et des mentalités. Après avoir travaillé sur l’utopie et l’idée de progrès (L’invention du progrès, CNRS éditions, 2010), il a publié une Histoire de la politesse (2006), une Histoire du snobisme (2008) et plus récemment, Une histoire des best-sellers (élu par la rédaction du magazine Lire Meilleur livre d’histoire littéraire de l’année 2011).

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