On sait que « les jambes des femmes sont des compas qui arpentent le globe terrestre en tous sens, lui donnant son équilibre et son harmonie » (Truffaut dans L’Homme qui aimait les femmes). Notre chroniqueur prétend que les fesses des susdites prouvent que la Terre est ronde. Sauf que depuis quelques années, elles suggèrent aussi qu’elle est obèse. Attention, grossophobie !
On connaît l’histoire de Phrynè, courtisane accusée de débaucher les jeunes Athéniens, et traînée devant le tribunal de l’Aréopage. Voyant qu’il ne parvenait pas à convaincre les juges, qui allaient condamner la jeune femme à mort, son avocat eut l’idée de la dénuder, prouvant par la perfection de son corps que rien de mauvais ne pouvait exister en elle : et les Anciens, convaincus, acquittèrent cette perfection de la Nature. Les Grecs en effet pensaient que la perfection physique prouvait l’absence de tares morales.
Ils avaient également élaboré un système complexe de correspondances mathématiques pour définir la Beauté, ce qui explique la similitude de toutes les statues d’Aphrodite, Artémis — ou Apollon chez les hommes. Alors certes les musées du Louvre ou de Naples possèdent des Vénus callipyges (i.e. « aux belles fesses »), montrant la déesse regardant son cul dans le miroir d’une source. Mais il s’agit de la beauté des fesses, et non de leur opulence, comme on le croit trop souvent. Et comme l’écrit La Fontaine :
« … un temple fut fondé,
Dessous le nom de Vénus belle-fesse ;
Je ne sais pas à quelle intention ;
Mais c’eût été le temple de la Grèce
Pour qui j’eusse eu plus de dévotion. »
Mais ça, c’était avant.
Le Figaro vient de faire paraître, sous la plume de Pauline Fréour, un passionnant article sur le déficit de sport des jeunes Français, particulièrement les filles. Depuis des années la situation se dégrade, les confinements qui ont intelligemment coupé les jeunes du système scolaire n’ont fait qu’aggraver les choses : « Si l’écart entre les sexes reste faible chez les enfants, il se creuse durablement à l’adolescence : seules 20% des jeunes filles de 11 à 14 ans atteindraient les recommandations de 60 minutes d’activité physique par jour, contre 34% des garçons, selon l’enquête Esteban (Santé publique France) publiée en 2015. » D’où sans doute les préconisations de Pap Ndiaye pour que les enseignants, en primaire, assurent au moins 30 minutes de sport chaque jour, ce qui bien entendu fait hurler les syndicats. Comment concilier, disent-ils, les exigences académiques et la pratique du sport ?
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Pourtant, « certains parents pensent qu’il faut réduire le sport extrascolaire pour laisser de la place aux devoirs, mais pas du tout », souligne Anne-Juliette Serry de Santé publique France. Ce serait même tout le contraire, pour les filles comme pour les garçons… La stimulation des fibres musculaires agite les neurones dans le bon sens.
Passons sur la junk food dont se gavent les adolescents. Passons sur les effets délétères des confinements, et l’idée que vous allez sentir la transpiration pour le reste de la journée (si des demi-journées étaient consacrées au sport, et des douches disponibles, cela permettrait d’éviter ces millions de certificats de complaisance où des médecins attestent que Béatrice ou Djamila ne peuvent faire de natation / de course à pied / de gymnastique, rayez les mentions inutiles).
La vraie responsabilité incombe à ces « influenceuses » dont les jeunes filles, fashion victims par définition, copient les comportements.
Prenez Kim Kardashian, par exemple. Elle vient de dévoiler une série de photos exhibant son postérieur excessif, sur fond de drapeau américain. Les ados étant les plus conformistes des créatures, elles cherchent à ressembler à cette poupée gonflée à l’hélium, aux injections de graisse et aux hormones de croissance, comme un ruminant de concours. Un trafic desdites hormones vient d’être démantelé en région parisienne — en cause, comme dit l’article de Sud-Ouest, « la mode des fessiers XXL ». Non seulement elles sont hideuses, mais elles sont folles.
Voici donc de jolies adolescentes massacrant leur corps, à force de paresse et de McDo, pour ressembler à des violoncelles — ou, plus souvent, à des contrebasses. Et comme leurs idoles des médias, elles se font défriser, teindre en noir de façon à ressembler à des saules pleureurs goudronnés, elles cessent de s’épiler les sourcils pour avoir l’air butées, et prennent un air de ruminant constipé engoncé dans un top de vache laitière — car les seins sont à l’unisson des fessiers, et tombent sur le nombril bien précocement — et un short délabré qui exhibe en sus leurs poteaux celluliteux.
Rappelez-vous les années 1990, le règne des « tops models », Claudia Schiffer ou Naomi Campbell, telles qu’ont pu les photographier Herb Ritts ou Peter Lindbergh. Fini : désormais le modèle est uniformément ethnique, et surgonflé.
D’où vient donc cette mode des rondeurs tendant vers l’obèse ?
Le rédacteur des Mille et une nuits — ce sublime roman qu’il faudrait faire lire à tous les musulmans intégristes pour leur apprendre qu’il fut un temps où l’islam savait rire et apprécier les beautés dévoilées — écrit : « Elle a un derrière énorme et somptueux, qui l’oblige à se rassoir quand elle se lève, et me met le zeb, quand j’y pense, toujours debout ». Sic. Brassens s’en souviendra dans « Vénus callipyge », jolie chanson inécoutable en nos temps modernes où se moquer des obèses, c’est commettre le péché de grossophobie.
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En fait, c’est l’esthétique du harem, telle qu’elle fut célébrée par les peintres orientalistes du XIXe siècle — Ingres, par exemple —, qui envahit nos trottoirs. Et il est désolant que tant de jeunes filles s’efforcent à ressembler à des tapineuses bon marché. La mondialisation ne va au fond que dans un seul sens, celui de la régression vers l’immonde. On importe un modèle oriental en faisant croire à ces cruches que c’est le summum de la beauté — calculée non plus en termes qualitatifs, mais quantitatifs. Ces courges sur pattes sont belles au kilo.
Heureusement que les trentenaires / quadragénaires ont encore du respect pour leur personne. « Ce n’est que vers 35-40 ans que la dynamique change et que la part de femmes chaussant régulièrement leurs baskets repart à la hausse », note Pauline Fréour. Je le crois bien : on peut déterminer l’âge d’une femme vue de dos au modelé de ses fesses ; l’harmonie ou la dysharmonie signe la conscience ou l’inconscience de soi.
À noter que la grosseur des fesses est inversement proportionnelle au statut social. Les pauvres, les acculturés, les déshérités, qui se nourrissent mal et ne connaissent pas d’autre sport que le canapé-télé, ont de l’ampleur et du négligé dans la fesse. Les bourgeoises se soignent, multiplient les activités qui les musclent et les galbent : rien qu’à regarder la femme qui vous précède, dans la rue, vous pouvez deviner son statut social. C’est dans les établissements scolaires les plus oubliés que l’on devrait pratiquer un surplus d’activités physiques — comme on devrait y pratiquer un surplus d’activités intellectuelles, et de transmission des connaissances.
Alors, il est plus que temps de mettre les enfants et les adolescents en activité. Allez en classe en vélo — un vrai vélo, pas une machine électrique qui ne vous demande aucun effort sérieux. Bougez, courez, transpirez — et mangez des fruits et légumes plutôt que des friandises bourrées d’huile de palme. Vous vous voulez écolo ? Commencez par remettre de l’ordre dans votre nature — et vous verrez, l’intellect suivra. À la taille du fessier on mesure l’activité cérébrale, et c’est pitoyable. Les Grecs avaient raison : la laideur témoigne d’une infirmité morale et d’une incapacité intellectuelle. Si l’intelligence rend beau, le négligé rend bête.
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