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Général, nous voilà !


Général Bigeard.

Le général Bigeard avait exprimé une volonté : que ses cendres fussent, à sa mort, répandues au-dessus de Diên Biên Phu. Le Vietnam, dont les autorités ont toujours été aussi humaines que les gars du 25e RIC étaient maniérés, a refusé. La France a donc choisi de porter la dépouille de celui que De Gaulle appelle dans ses Mémoires « l’héroïque Bigeard » aux Invalides. Quand on sait que le Général était peu enclin à complimenter à tout bout de champ et qu’il cultivait une secrète aversion envers les militaires, il n’y a plus qu’à se taire. Respect. Fermez le ban !

L’Hôtel national des Invalides fait partie de ce que Fernand Braudel appelle les « permanences françaises ». Passent les ans, les modes et les régimes : au bord de la Seine, les Invalides recueillent nos grands soldats depuis Louis XIV. On les y soigne, on y remplace leurs membres déchiquetés par un éclat d’obus ou une salve ennemie, on y porte en terre les plus valeureux d’entre eux. Balzac a écrit de belles pages sur la redingote fripée de ces anciens soldats faits pour la guerre et perdus, désemparés, en temps de paix. Sous le Dôme, l’Empereur. De part et d’autre, le grand Turenne y côtoie Rouget de Lisle. Quant au maréchal Foch, c’est un voisin d’immortalité de Lyautey. On y enterra Mangin, mais également Nivelle, dont l’offensive d’avril 1917 demeure, pour l’histoire, comme la plus stupide et la plus meurtrière persévérance dans l’erreur. On croise de tout aux Invalides. Le meilleur, beaucoup. Et le pire, parfois. Ainsi va la France, grand pays qui se refuse, dans sa mémoire, à faire définitivement le tri.

Un jour, je me souviens être descendu à la crypte des gouverneurs – elle est fermée au public – pour aller m’incliner, aux côtés des anciens de la IIe DB, devant la dalle de Leclerc. Dans cet endroit confiné, où chaque murmure, même le plus infime, résonne outre-mesure, un tambour et un clairon de la Garde républicaine sonnèrent aux morts, avant d’entonner la Marseillaise. Et nos tympans froissés par un écho puissant entendirent alors monter, presque silencieuses, les anciennes prières prononcées par l’aumônier de la IIe DB. Un psaume, un Ave, un Pater.

Le visage de ces vieux hommes, dont rien ne laissait supposer qu’ils avaient eu un jour vingt ans, mais qui les avaient eus, plus que nous, mieux que nous, les armes à la main, l’amour sacré de la patrie chevillée au corps, tout cela c’était la France. Un pays qui vit sans se demander si, un jour, il a été chrétien ou non, si la laïcité tolère qu’on prononce une prière catholique dans un lieu républicain ou si quelques-uns, sacrifiant à d’autres obédiences ou sacrifiant à l’esprit de l’époque qui réclame qu’on ne se sacrifie à rien, ne vont pas s’en retrouver tourneboulés dans leur for intérieur. Chez ces gens-là, Monsieur, quand on est devant la tombe du chef, on ne se pose pas de questions. On prie. Ainsi soit-il. Amen.

Voilà donc ce lieu où la Nation s’apprête à porter, avec les cendres de Bigeard, l’un de ses plus grands soldats. Il fut un héros. Ce n’est pas un endroit où l’on cause philosophie le petit doigt levé. Peigne-cul et blancs-becs n’y sont pas des masses. Ils n’y sont pas même les bienvenus. Ça sent plutôt la sueur et les larmes, le sang et les corvées de chiottes. Que voulez-vous ? L’histoire de France n’a pas été écrite par des ronds-de-cuir, mais par des soldats.

Et c’est justement ce que Ian Brossat et Catherine Vieu-Charier refusent et réfutent. Excusez du peu : l’un et l’autre sont, respectivement, président du groupe PCF-PG au Conseil de Paris et adjointe (PCF) au maire de Paris chargée de la mémoire. Ils se sont fendus, le 25 novembre, d’une tribune dans Le Monde pour dénoncer le transfert des cendres de Bigeard aux Invalides.

« Bigeard n’a pas sa place aux Invalides », disent-ils. Et leur argumentaire tient à peu de choses : le général Bigeard a reconnu que l’armée française a pratiqué la torture pendant la guerre d’Algérie. Ils ne nous disent pas si Bigeard a ordonné la torture, l’a pratiquée lui-même et s’y est livré avec une cruelle délectation. Ce qui les chagrine, c’est l’aveu de Bigeard : oui, la torture, ça existait. Ouh là là, le méchant vilain que voilà !

J’éviterai les blagues à deux sous sur le « Gna gna gna, on n’est pas contents. Nous ce qu’on veut c’est le transfert des cendres de Maurice Thorez aux Invalides et de Robert Hue au Panthéon ! » Le premier le mériterait eu égard à ce qu’il fut toujours un bon petit soldat du stalinisme, le second je ne vois pas.

Qu’on y prenne garde : je n’utiliserai pas, non plus, les arguments habituels et un peu sordides qu’on pourrait avancer face à deux éminents représentants du Parti Communiste Français en pareilles circonstances. Je ne convoquerai donc pas le maréchal Staline, qui a été louangé jusqu’à très tard par le PCF, et dont l’amour des droits de l’Homme est très bien connu de tous, notamment de ses 40 millions de victimes. On ne prend pas sa carte impunément dans un parti qui a incarné, dans le monde, l’une des expériences les plus radicales du totalitarisme, sans devoir un jour devoir assumer une part de cet héritage-là. On ne choisit pas sa famille, d’accord. Mais on choisit ses amis, ses fréquentations et ses références.

Je me refuse également à rentrer dans de mesquines considérations et à regarder les états de service de M. Brossat, dont la rumeur publique propagée par ses propres camarades de cellule, lui accorde d’être davantage parachuté que parachutiste.

Mais s’il faut tout mettre sur la table, allons-y. Ce qu’ignorent nos deux édiles parisiens ou ce qu’ils feignent de ne pas connaître, c’est ce que fut la guerre d’Indochine. Comme une idée de l’enfer. C’est d’abord la première guerre d’Indo, celle qui se déroule sous domination japonaise. Ce fut, tout simplement, barbare. Les nouvelles des puissances de l’Axe ne sont peut-être pas parvenues jusqu’aux oreilles de nos amis du groupe PCF de la Ville de Paris, mais ne désespérons pas : peut-être ouvriront-ils un jour un livre d’histoire. Quant à la seconde guerre d’Indochine, l’ignominie vint s’ajouter à la barbarie. Nous y avons laissé plus de 30 000 soldats français. Disparus au bataillon et internés dans les « camps de rééducation » qui ont consacré l’allant humanitaire de la gauche viêt-minh.

Ah ! C’est cela donc. Le général Bigeard n’était pas un ardent soutien de leur Cause du Peuple, mais poussa l’abjection jusqu’à devenir un ministre de Giscard. En Indochine, il avait eu un peu de mal, en fait, à voir ses hommes affamés, avilis et, au final, massacrés par l’armée du Lao Dong. J’oubliais : l’armée viêt-minh ne torturait pas, puisqu’elle était communiste. Et un communiste, par nature, c’est bon, grand et généreux. Bref, ça vous présente le visage avenant de Marie-George Buffet, même lorsqu’il vous enterre vivant.

Quant au second reproche que nos caciques du Parti communiste parisien formulent à l’encontre de Bigeard, il aura laissé pantois plus d’un être raisonnable. Que lui veulent-ils à ce cadavre ? Il n’a pas, de son vivant, porté les valises du FLN. Il n’a pas financé, en Algérie, l’assassinat aveugle de femmes, d’hommes et d’enfants.

Parce que, voyez-vous, l’histoire maintenant, selon nos deux amis du Parti communiste parisien, n’est plus qu’une célébration perpétuelle du terrorisme. Poser, à Oran, à Tamanrasset ou à Alger, une bombe dans une école et faire péter la gueule à une trentaine d’enfants : voilà ce qui à leurs yeux qualifie désormais l’honneur et la bravoure pour la postérité. Comme les couilles de nos bidasses, retrouvées dans leur bouche, alors que ces gosses de vingt ans agonisaient, à la petite aube, et que le planton fut obligé de les achever, parce qu’ils n’étaient même pas morts et qu’ils souffraient davantage qu’un bobo-coco parisien en mal de visibilité : bien entendu, tout cela est de l’humanisme FLN. Et tout cela relève très certainement de ce mouvement d’idée qui a su cultiver, en Algérie, les valeurs humaines jusqu’à les faire poindre avec le GIA. Mais défendez-la, chers amis du Parti communiste parisien, cette vision du monde : sous ses dehors iréniques, c’est la guerre de tous contre tous. Elle vous convient. Pas moi. J’ai rompu avant d’y avoir adhéré avec votre stalinisme morbide, c’est-à-dire votre vision du monde qui justifie l’abjection dès lors qu’elle est encartée.

Ne retournons pas le couteau dans cette plaie. Mais combien étaient-ils les instituteurs et les professeurs, communistes et compagnons de route du PCF, qui enseignaient à l’époque en Algérie et se réjouissaient chaque fois que l’armée déjouait un attentat ? Quand vous êtes militaire et que vous mettez la main sur les protagonistes d’un futur attentat, vous leur contez risette ou vous leur branchez la gégène pour obtenir des renseignements ? Oui, c’est un cas de conscience. Et nul ne peut y répondre. Même au nom des grands principes. Mais un cas de conscience que l’on règle autre part que sous les lambris dorés de la Mairie de Paris.

C’est très gentil de juger un homme pris dans la tourmente de l’histoire quand on a le cul bien au chaud. Moi, Bigeard m’impressionne. Parce qu’il était un gamin de 17 ans quand il rejoignait le maquis. Et que je ne suis pas sûr que j’aurais eu son audace, ses couilles et son courage. Nous vivons en temps de paix. Et ce qui est réclamé à tous les bleu-bites que nous sommes, c’est juste un peu d’humilité devant l’histoire.

Mais là où Ian Brossat et Catherine Vieu-Charier décrochent le pompon, c’est en sortant l’argument imparable : l’entrée du général Bigeard aux Invalides va faire monter Marine Le Pen. Et vous savez pourquoi ? Parce que l’OAS, parce que Nicolas Sarkozy. Et ta sœur ? Elle bat le beurre. Audacieuse démonstration, qui montre combien la dialectique marxiste n’est plus, au PCF, que de l’histoire ancienne.

La guerre est dégueulasse. On le sait depuis Thucydide. Nous, nous avons eu l’insigne chance d’apprendre ça dans les livres d’histoire, sans jamais le vivre, heureusement. Et nos deux amis communistes parisiens voudraient que la dentelle de nos maréchaux ne fût jamais tachée de sang ? Elle l’est, elle le doit.« La France fut faite à coups d’épée. Nos ancêtres entrèrent dans l’histoire avec le glaive de Brennus. » Voilà ce que De Gaulle écrivait en 1938 dans La France et son armée. Un glaive pénétrant un corps : l’idée est abstraite. Sans doute. Relisons alors Bronislaw Baczko et son Comment sortir de la terreur pour voir jusqu’où l’idéologie Bisounours peut, finalement, aimer se repaître du sang des innocents.

Bienvenue donc, Marcel Bigeard, aux Invalides, cimetière définitif de nos gloires immortelles ! Mon général, nous voilà ! Merci à vous.



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