« Tu n’as pas lu Gégauff ? », me lance avec étonnement un ami dont les deux passions sont de collectionner les éditions originales des hussards et de courir le Sud de l’Europe pour assouvir sa passion des corridas. « C’est une sorte de hussard inconnu », poursuit-il. Hussard peu connu, assurément, mais hussard de Minuit surtout, puisque tel était son éditeur, les autres membres de cette obédience préférant généralement Gallimard ou La Table ronde. Voilà comment je connus
l’existence de Gégauff.
Minuit, c’est l’heure où l’on pouvait croiser Paul Gégauff en compagnie d’Antoine Blondin et d’Alexandre Astruc chez Jean Castel, rue Princesse, dans ce quartier où il arrive à Arnaud Le Guern de se promener la gorge tailladée par un tesson de bouteille qu’une jeune fille a tenté de lui enfoncer dans le cou à La
Closerie des Lilas. Si Arnaud Le Guern s’en est sorti, Paul Gégauff, lui, mourut en Norvège, tué par sa femme sous l’emprise de l’alcool, le soir du 24 décembre 1983, alors qu’il venait de lui dire : « Tue-moi si tu veux, mais arrête de m’emmerder ! »[access capability= »lire_inedits »] Un conte de Noël en forme de mauvais polar scandinave…
Arnaud Le Guern vient de publier un petit essai bien senti sur Gégauff. Son éditeur avait déjà republié Tous mes amis…, un titre qui ressemble à un début de chanson de France Gall mais qui est un excellent recueil de nouvelles paru originellement chez Julliard en 1969. Paul Gégauff est né la même année
qu’Antoine Blondin, en 1922. Ce fils d’industriel alsacien passe l’été 1940 à Saint-Tropez. Après la Libération, il habite le même hôtel parisien qu’Éric Rohmer, avec qui il sympathise. Il travaille un peu avec lui et l’inspire pour les personnages des héros du Journal d’un scélérat (1950) et du Signe du Lion (1959), film pour lequel il est crédité au scénario.
À Saint-Germain-des-Prés, Gégauff aime provoquer : il se déguise en soldat allemand lors de soirées costumées. Il donne du « Cher Maître » à Lucien Rebatet, romancier collaborationniste, auteur décrié des Décombres, qui plaît à la Nouvelle Vague, François Truffaut en tête. Mais Gégauff aime peu François Truffaut, auquel il préférera toujours Jean-Luc Godard.
À la fin des années 1950, il rencontre Claude Chabrol et deviendra son scénariste et dialoguiste fétiche, pour ses trois films les mieux placés au boxoffice : Docteur Popaul (1972), Les Cousins (1959), À double tour (1959 également), et bien d’autres encore.
Dans le même temps, il se lie avec les hussards, ces écrivains de droite issus des eaux de l’Action française. Il écrit dans la revue La Parisienne de Jacques Laurent. Roger Nimier goûte chez lui « un style vif où la pensée saute d’un mot à l’autre comme une puce ».
Une Âme damnée nous montre comment, par son attitude même, par l’impertinence de sa vie et la flamboyance de son style, Gégauff se situe au point de
convergence des hussards et de la Nouvelle Vague. Il est un peu dommage que la profusion de noms propres cités et de digressions personnelles ralentissent le
récit d’Arnaud Le Guern. Malgré ces défauts, il a trouvé le ton juste pour célébrer le panache de Paul Gégauff.[/access]
Arnaud Le Guern, Une Âme damnée, éditions Pierre-Guillaume de Roux, septembre 2012 .
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