Vingt-quatre heures pour convaincre une femme, le dernier roman de Philippe Lacoche, est un thriller sentimental. Autant dire que l’auteur a inventé un genre littéraire. Son titre à la Stéphane Zweig cache en effet un compte à rebours à la fois terrible et banal : une femme va quitter un homme et l’homme va tenter en une journée d’éviter la rupture un peu comme Jack Bauer tente d’empêcher l’assassinat du président des Etats Unis. Le roman est découpé heure par heure avant une fin qu’on ne vous révèlera évidemment pas. Cela donne une forme de tension, d’urgence inédite à une situation banale que connaissent quotidiennement des milliers de personnes, surtout à une époque où le couple n’est plus cette délicate construction chardonnienne qui acceptait que la passion des commencements se métamorphosât en une tendre habitude, une complicité délicate.
Non, aujourd’hui, il suffit de lire les magazines féminins ou ceux consacrés au « bien-être » et à la psychologie pour les nuls, sans compter les livres sur le « développement personnel » qui s’empilent sur les tables des librairies, pour se rendre compte que le bovarysme avec orgasme obligatoire trois fois par semaine a exercé des ravages tels que nous vivons dans une société de divorcés ou de célibataires.
L’homme s’appelle ici Pierre Chaunier. Il est journaliste dans un grand quotidien régional et surtout, il est écrivain. Les écrivains ont une aptitude particulière à la souffrance quand il s’agit de l’amour. On le sait chez nous depuis Madame de La Fayette, Proust et Chardonne, justement. Les écrivains quittés par des femmes déploient des trésors de vaine psychologie, ils se livrent à de savantes constructions pour se convaincre qu’ils comprennent ce qui se passe alors que leur point de départ est faux. C’est d’ailleurs la définition de la folie selon Chesterton pour qui le fou est celui qui a tout perdu sauf la raison.
Pierre Chaunier est-il fou ? Sans doute un peu. Quinqua cabossé qui a arrêté de boire (quelle erreur !) et prend du Tranxène à l’occasion est un nostalgique. La nostalgie devrait, dans notre monde voué au présent perpétuel, être traitée comme une maladie mentale dument inscrite au DSM-5. Car enfin, est-ce bien sérieux, par exemple, d’acheter une maison uniquement parce qu’elle porte une plaque commémorant la mort d’un résistant : « Pierre Derobertmazure, mort pour la France, victime du bombardement de la prison d’Amiens, le 18 février 1944 » ? Est-bien sérieux de trainer son blues sur les routes de Picardie ou dans le quartier Saint-Leu d’Amiens avec ses pubs ouverts très tard, tout ça pour boire de la bière sans alcool ? Est-ce bien sérieux encore de traquer le brochet sur les étangs brumeux en ressassant la jeunesse perdue ?
C’est peut-être bien ce qui a fatigué Géraldine Avranche, dite Géa, beaucoup plus jeune que Pierre. C’est une ancienne prof devenue chanteuse de rock, qui s’habille court et ressemble à Jane Birkin. Elle est plutôt douée, elle a croisé Brigitte Fontaine, même si ses talents s’exercent dans ces cabarets de campagne où l’on mange de la pintade en regardant les numéros de music-hall pour tromper l’ennui des dimanche.
Pierre l’a rencontrée en 2005, elle lui annonce qu’elle va le quitter le mardi 20 décembre 2011 à 17 heures. Pierre s’en souvient précisément parce que comme d’habitude ou presque, il ne faisait rien sinon tisonner le feu dans la cheminée. Il aurait dû faire attention. Géa s’était donnée les fameux sept ans de réflexion. Pierre l’avait séduite en lui proposant d’écrire les paroles de ses chansons. Il avait oublié que ce qui compte aussi, dans une chanson, c’est la mélodie. Et la mélodie du couple qu’il formait avec Géa a dû sembler répétitive à cette dernière. Il faut dire que Pierre, parfois, donne l’impression de se presser de vivre car son seul plaisir c’est de se souvenir.
Il y a évidemment un troisième personnage dans Vingt quatre heures pour convaincre une femme. Non, ce n’est pas l’amant : c’est la Picardie. Les lecteurs de Causeur savent à quel point Philippe Lacoche aime en parler comme son double romanesque Pierre Chaunier. Elle baigne ce roman de sa petite pluie grise, calme, qui a tout son temps puisqu’elle tombe depuis l’éternité, ouatant la course désespérée d’un récit où un homme vieillissant comprend qu’il va bientôt être exclu de la fête.
Une petite pluie grise qui vous dispense de pleurer puisqu’elle a le goût des larmes.
Vingt-quatre heures pour convaincre une femme, Philippe Lacoche (Ecriture)
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