J’ai bien conscience d’être un rien intempestif, voire indécent, mais j’aimerais bien qu’un internaute francophone de Gaza relaie, auprès de ses concitoyens, l’injonction célèbre de François Guizot aux Français de la monarchie de Juillet. Oui, gens de Gaza, enrichissez-vous, par votre travail et par votre épargne, au lieu de vous vautrer dans le malheur, la misère et l’oppression ! Enrichissez-vous, tous, en fonction de votre énergie et de vos capacités au lieu de laisser quelques vautours faire de l’argent sur votre déréliction. Débarrassez-vous des contrebandiers de tunnels, des cameramen qui touchent en dollars leur livre de chair sanguinolente envoyée dans l’espace hertzien, des fonctionnaires des Nations-Unies au per diem grassouillet et 4×4 rutilantes, des ONG dites « bingos » pour leur aptitude à pomper le maximum de subventions et de dons de braves gens en noircissant sans vergogne votre sort. Votre détresse est leur capital, et sa perpétuation leur rente.
Tout ces gens-là, qui disent vous vouloir du bien, soulager votre souffrance, et promouvoir votre cause sacrée à travers le monde ne méritent pas plus de respect que les mafieux roumains qui relèvent régulièrement les compteurs de la mendicité des enfants et des femmes avec bébé drogué dans le métro parisien.
N’en n’avez-vous pas assez de cette situation d’éternels assistés, dépendants de la charité publique pour la nourriture, l’éducation de vos enfants, la santé de vos familles ?
Croyez-vous vraiment que ce sont ces horribles sionistes qui vous empêchent de mener une vie normale, faite de joies et de peines banales, de grands bonheurs et de petites misères ?
Lorsqu’ils sont partis de chez vous, en août 2005, j’étais là, pas loin, du côté de Jérusalem. Je vous assure que l’immense majorité des Israéliens n’avaient qu’un désir : vous oublier, ne plus penser à Gaza. Votre destin, qu’ils avaient pendant quelques années contribué à façonner, sinon à améliorer en vous offrant du travail dans leurs kibboutz ou dans leurs entreprises, ne les concernait plus. Ils n’éprouvaient, à cette époque, ni haine ni amour pour vous : juste de l’indifférence, et, pour certains, un peu de regret que des rapports interpersonnels qui s’étaient établis au fil du temps se soient brisés sur le roc tragique de l’Histoire.
Ils avaient détruit leurs maisons de colons, mais laissé leurs serres. Qu’en avez vous fait ? Un vaste chantier de récupération de matériaux pour vos bricolages personnels, et ces terres sont retournées à leur friche originelle.
Dès que l’armée d’Israël s’est retirée, les clans familiaux ont repris leur mise en coupe réglée de l’économie du territoire. Oh, l’argent ne manque pas à Gaza, comme on a pu le constater lorsque le mur barrant la frontière égyptienne a été forcé pendant quelques jours : les magasins égyptiens ont été dévalisés, payés en liquide avec des liasses de dollars et de shekels israéliens ! Toute une pègre se gave du recyclage de l’argent injecté par millions par les institutions internationales, peu regardantes sur l’usage fait de ces subsides.
La corruption du Fatah vous a poussés dans les bras du Hamas. La section palestinienne des Frères musulmans se préoccupait, certes, de soulager les misères quotidiennes du petit peuple, et semblait moins avide que les buveurs de whisky venus de Tunis via Ramallah. Sauf que le bonheur qu’il vous promettent se situe dans l’autre monde. Les chefs du Hamas vous incitent à vous y rendre le plus rapidement possible, en vous faisant accompagner dans ce grand voyage par quelques ennemis qualifiés de singes et de porcs. Vous avez voté, en majorité, pour la mort, contre la vie, alors que vous pensiez élire les plus purs parmi les « résistants » à l’ennemi sioniste. Aujourd’hui, ces gens-là vous ont emmenés au bout de l’enfer : votre vie, celle de vos enfants, a moins de valeur que la dernière de leurs babouches. Qu’ont-ils prévus pour vous protéger des représailles des Israéliens, qui n’allaient pas manquer de répondre aux tirs quotidiens vers Sdérot et Ashkelon ? Où sont les abris anti-aériens que tout dirigeant doté d’un milligramme d’humanité dans un repli de son cerveau n’aurait pas manqué de faire édifier avant d’aller tirer les moustaches du tigre ?
Bientôt, le calme va revenir. Pour Israël, ce sera le retour à la vie presque normale d’une société prospère, où la recherche du bonheur est un délicat exercice d’équilibre entre l’aspiration au bien-être matériel et le respect de valeurs supérieures, religieuses ou morales. Pour vous, lorsque vous aurez fait le deuil de vos trépassés, rafistolé vos maisons bombardées, il vous restera le choix entre la haine, la vengeance et la misère d’un côté, et, de l’autre, le choix d’une vie meilleure, d’un horizon ouvert, et de guides capables de vous conduire vers l’espoir.
Rien ne vous empêche de profiter de votre situation géographique, de vous atouts touristiques, de la proximité même d’une société développée comme Israël pour tirer votre épingle du jeu. Gaza, porte du Sinaï, n’a pas un front de mer plus indigne que Tel Aviv ou Ashdod, et n’a pas encore, par bonheur, subi les ravages de l’architecture hôtelière de la fin du siècle dernier. Que Mövenpick, le groupe suisse, vienne construire là un 5 étoiles aussi dément que sur la rive jordanienne de la Mer Morte, et vous verrez affluer les oligarques russes en quête de soleil hivernal. En transvasant de la piquette dans une bouteille étiquetée Château-Pétrus, opération sans risque car la vodka matinale endort les papilles gustatives, vous pourriez, par exemple, améliorer votre ordinaire. Faites de Gaza une oasis fiscale, et les malfrats israéliens viendront planquer leur argent chez vous. Ouvrez des casinos : tant que les rabbins interdisent les bandits manchots en Israël, il y a de quoi se gaver ! Ne tuez plus vos ennemis, arnaquez-les !
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