Riposte disproportionnée : c’est sur ce thème que se fait cette fois-ci la réprobation d’Israël. Je me demande à quoi ressemblerait une riposte proportionnée aux tirs de roquettes du Hamas – tu me détruis une crèche, je te bombarde un hôpital, un échange de bons procédés ? Ou, comme en 1939, entre l’Allemagne nazie et l’Union soviétique, tu m’envahis la Pologne, je t’envahis la Pologne ? Je ne crois pas que la recherche d’un équilibre dans les échanges de tirs puisse avoir la moindre pertinence dans ce conflit. Ou alors, il faudrait que la mort de Palestiniens en réponse à celle d’Israéliens ait un effet dissuasif, autrement dit que le cours de la vie humaine soit le même dans les deux camps. On peut en douter quand on voit les pères de Gaza brandir les cadavres de leurs enfants face aux caméras du monde. On peut aussi se demander si, pour les stratèges médiatiques du Hamas, la mort de ces innocents est une défaite ou une victoire.
Une riposte proportionnée, cela suppose que les deux adversaires jouent avec les mêmes règles. Or, Israël et le Hamas ne mènent pas la même guerre. Rappelons que le prétexte à la reprise des tirs de roquettes sur Israël par le Hamas est le blocus abusivement appelé israélien quand il devrait être qualifié d’égypto-israélien ; car les islamistes entêtés de Gaza, les Egyptiens n’en veulent pas non plus chez eux. Or, on peut se demander si ce blocus – qui empoisonne et même plus la vie des Palestiniens -, n’arrange pas les dirigeants du Hamas. En effet, pour se maintenir au pouvoir, ce qui est peut-être leur unique objectif stratégique, les islamistes de Gaza pensent avoir une seule carte à jouer : celle de la résistance irréductible à l’ennemi sioniste. Jamais nous ne lâcherons un pouce de la terre de Palestine comme ces mauviettes du Fatah, c’est le message par lequel le Hamas entend conserver sa légitimité – et le pouvoir.
L’objectif proclamé des islamistes, au nord et au sud d’Israël, ne peut donc être que la destruction de l’Etat juif – même si les chefs du Hamas comme ceux du Hezbollah savent parfaitement que cet objectif est hors d’atteinte. Mais ils ont entraîné dans cette illusion à laquelle ils ne croient pas eux-mêmes une partie de la rue palestinienne et arabe. « Nous transformerons nos corps en bombes contre tous les sionistes du monde », juraient il y a quelques jours des manifestants palestiniens au Liban.
Dans ces conditions, si la riposte israélienne est disproportionnée, ce n’est pas dans le sens que l’on croit. Si elle ne répond pas seulement aux tirs de roquette mais à une menace de destruction constante, répétée, et devenue une puissante rhétorique de mobilisation, l’opération en cours à Gaza, aussi douloureuse soit-elle pour les civils, reste empreinte de retenue. À l’exception de l’extrême droite, on ne voit pas les dirigeants israéliens se faire acclamer en promettant de faire disparaître tous les Palestiniens. Si Israël avait fait preuve de moins de sang-froid et choisi une riposte proportionnée, comment aurait-il répondu à ces promesses de destruction ? Que serait-il advenu du million et demi de Gazaouites si leur voisin n’avait pas été l’ennemi sioniste honni mais un régime arabe peu scrupuleux ? Existeraient-ils encore ces emmerdeurs de Philistins s’ils bombardaient depuis des années, même de façon sporadique ou artisanale, la Russie ou la Chine ?
Ce que peuvent espérer Ismaïl Haniyeh et son mouvement, c’est d’ouvrir à Gaza un front significatif dans l’affrontement planétaire qui oppose l’islamisme radical révolutionnaire au monde libre et même au monde un peu moins libre, car de Washington à Ramallah en passant par Ankara, Paris ou Londres, pas mal de gens commencent à en avoir soupé des barbus.
Les islamistes veulent faire de Gaza un nouveau champ de bataille dans la guerre mondiale chaude en Irak, en Afghanistan, et plus ou moins froide dans les rues de nos villes et de nos banlieues ou s’entrechoquent les civilisations.
Pourquoi se battent-ils et pourquoi nous battons-nous ? Observons les emblèmes et étendards de nos sociétés respectives. Les Américains ont une géante de bronze incarnant la Liberté qui avertit leurs immigrants et le monde entier sur la nature du régime, les Anglais se battent comme James Bond au service de Sa gracieuse Majesté, formule délicieusement chevaleresque qui rappelle au combattant qu’il est aussi un gentleman. Les Français défendent une Marianne bien roulée dans la pierre qui, dans toutes les mairies, rappelle au président photographié qu’il n’est que de passage. Dans ces emblèmes de l’Occident, la femme est bien présente, égale et libre. À l’opposé, les islamistes se réclament d’Allah et de son Prophète, figures masculines appelées à soumettre le monde. Et si c’était cela, l’enjeu principal de la « guerre des civilisations » ?
Oui, je crois que la liberté des femmes qui commence par celle de choisir son conjoint et dont la conséquence est la mise en concurrence, la rivalité des hommes, est le moteur du progrès, du développement et la fierté de notre monde. Quand on interroge John Lennon ou Mick Jagger sur la raison pour laquelle ils ont monté un groupe de rock, la réponse est simple – pour plaire aux filles. Et c’est grâce à cet heureux penchant qu’ils laissent des chansons inoubliables. L’envie de garder la femme qu’on aime et de séduire les autres n’est-elle pas pour quelque chose dans la passion qui pousse les hommes à écrire de grands livres, composer des symphonies ou trouver des vaccins ? En revanche, dans une civilisation où votre cousine vous est promise, due et même imposée, pour quoi et pour qui chercher à devenir meilleur ? Dans le monde merveilleux où, si vous apportez dans l’au-delà des juifs et des croisés, on vous promet des vierges à la pelle, pourquoi prendre le risque de prendre des râteaux ici-bas ?
Je me réjouis tous les jours de vivre dans le monde des femmes libres. C’est pour elles et grâce à elles que je crois en notre victoire. J’y crois parce que la liberté m’habite.
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