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Vrais ennemis et faux-semblants

Quelle nouvelle donne géopolitique, une fois les buts de Tsahal atteints à Gaza ? L'analyse de Gil Mihaely


Vrais ennemis et faux-semblants
Opération des troupes israéliennes à Khan Younès dans le sud de la bande de Gaza, 18 janvier 2024 © IDF/GPO/SIPA

Derrières les grandes déclarations et condamnations, la réaction de nombreux pays arabes à l’opération militaire israélienne à Gaza est plutôt mesurée. Beaucoup de signes laissent penser que l’esprit des accords d’Abraham perdure dans la région, et que, une fois son but de guerre atteint par Tsahal, une sortie par le haut est possible.


Il n’est pas trop difficile de faire un point sur la manière dont se déroule sur le terrain la guerre entre Israël et l’alliance Hamas-Hezbollah. Que ce soit à Gaza ou à la frontière israélo-libanaise, les mouvements de troupes et les frappes des belligérants sont aisés à suivre, pour peu que l’on ait accès aux réseaux sociaux. En revanche, dès que l’on se penche sur la dimension politique et diplomatique du conflit, c’est le brouillard. Fuites d’informations et déclarations diverses obscurcissent la vue.

Offensive d’envergure prévue à Rafah

Un exemple parmi tant d’autres concerne l’éventualité d’une offensive d’envergure de Tsahal dans la ville de Rafah. Un jour, on lit que les autorités égyptiennes estiment, en off, qu’une telle opération militaire serait de nature à mettre en péril les accords de paix avec Israël, signés en 1979. Le lendemain, on apprend que Le Caire a sommé le Hamas de trouver rapidement un accord pour la libération des otages, sans quoi l’Égypte ne s’opposerait pas à l’attaque de Rafah par Israël. Puis finalement, le 18 février, lors de la conférence de Munich sur la sécurité globale, le ministre égyptien des Affaires étrangères, Sameh Choukry, déclare que le Hamas est selon lui « en dehors du consensus palestinien en raison de son refus de reconnaître Israël et de s’engager dans des négociations pacifiques ».

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Côté israélien, ce n’est pas très différent. Grâce à des documents transmis au tribunal de La Haye (dans une affaire à ne pas confondre avec la requête de l’Afrique du Sud devant la Cour internationale de justice contre Israël, accusé de mener un génocide à Gaza), on a récemment appris que le gouvernement israélien avait autorisé discrètement des livraisons de carburant dans l’enclave palestinienne, alors que le Premier ministre Benyamin Nétanyahou avait publiquement promis qu’aucune goutte d’essence n’entrerait en territoire ennemi tant que les otages ne seraient pas libérés.

Le Hamas considérablement affaibli

Dans ces conditions, à quoi peut-on se raccrocher pour comprendre, malgré tout, ce conflit ? Tout d’abord au fait que la situation à Gaza a radicalement changé depuis le 7 octobre. Le Hamas a perdu une grande partie de sa capacité militaire (tunnels, roquettes, ateliers de production d’armes) et une grande partie de ses cadres et combattants. De plus, la détermination et la capacité d’Israël à aller aussi loin et à tenir aussi longtemps, malgré les risques géopolitiques, ont pris Gaza et le Liban par surprise. L’État hébreu est peut-être tombé dans le piège du Hamas, mais il l’a fait avec la ferme intention de le briser de l’intérieur.

Second fait majeur : l’affaiblissement considérable du Hamas – au moins pour quelques années – met une pression supplémentaire sur le Hezbollah, si bien que, désormais, Israël pourra concentrer la quasi-totalité de ses ressources militaires dans l’arène libanaise sans craindre en même temps une attaque majeure venant de la bande de Gaza. Autre certitude : les pays arabes liés à Israël par des traités de paix (Égypte et Jordanie) ou des accords de normalisation (Émirats arabes unis, Oman, Bahreïn, Maroc) n’ont pas rompu leurs relations, malgré l’hostilité de leur opinion publique, notamment en Jordanie. Et en Arabie saoudite, qui était sur la voie de la normalisation avec Israël avant le 7 octobre, rien n’indique que le prince héritier ait changé d’avis. Pour ce dernier, l’Iran reste la principale menace, et le rapprochement avec Tel-Aviv demeure un objectif stratégique.

L’Iran reste un acteur puissant dans la région. Plus d’un an après le début du mouvement de protestation populaire déclenché par la mort de Mahsa Amini, le régime des mollahs semble avoir repris l’initiative grâce à une stratégie de « résistance », qui a toutefois ses limites. Si elle est efficace pour fédérer les groupes qui se disputent le pouvoir dans des États faillis (les Houthis au Yémen, le Hezbollah au Liban, le Hamas à Gaza et les différentes milices chiites en Irak et en Syrie), elle ne correspond pas toujours aux intérêts de ces mêmes États. L’objectif des Houthis est de prendre le contrôle du Yémen et de soutirer le plus d’argent possible au riche voisin saoudien. En échange de la paix, bien sûr. On a vu la même dynamique en Irak où les partis chiites proches de l’Iran ont pris leurs distances dès que des considérations économiques sont entrées dans leur viseur.

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Au Liban, le décalage entre la politique du Hezbollah et les intérêts des autres composantes de la société n’a jamais été aussi flagrant. En janvier, le patriarche Rahi, chef de l’Église maronite, a déclaré qu’il s’opposait à l’implication du pays dans la guerre avec Israël car « le Liban et les Libanais n’ont rien à voir » avec elle. Il a également condamné « la culture de la mort qui n’a apporté à [son] pays que des victoires imaginaires et des défaites honteuses » – une référence directe à la culture chiite du Hezbollah. Certes, on peut se demander légitimement de combien de divisions le patriarche dispose, mais les accords économiques de partage des eaux de la Méditerranée, signés en octobre 2021 entre Israël et le Liban, démontrent que les rapports de forces au sein de la société libanaise et de la classe politique ne sont pas figés.

L’Arabie Saoudite, pierre angulaire dans l’avenir géopolitique de la région

Enfin, la peur du pouvoir iranien, qui a pour seule capacité celle de nuire à ses voisins, permet l’espoir d’une alliance régionale visant à contrer le régime des mollahs. Une telle évolution constituerait une défaite majeure pour Téhéran et sa coalition, et une parfaite revanche du 7 octobre. Cependant, les Saoudiens, clefs de voûte d’une telle alliance, exigent publiquement – comme l’Égypte l’a fait en 1978-1979 avec le fameux « linkage » (lien) entre le traité israélo-égyptien et la question palestinienne – la reconnaissance d’un État palestinien comme condition à l’adhésion aux accords d’Abraham.

La victoire militaire d’Israël à Gaza, fruit de sa détermination à aller jusqu’au bout malgré la pression internationale, change la donne et ouvre des opportunités qui n’existaient pas avant le 7 octobre. Pour les saisir, Israéliens et Palestiniens ont besoin d’un leadership politique légitime, car les deux sociétés sont extrêmement divisées sur le sens et les conséquences de la tectonique des plaques géopolitiques dans la région.

Mars 2024 – Causeur #121

Article extrait du Magazine Causeur




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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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