Travaillée par ses contradictions, on ne voit pas bien comment la gauche pourrait un jour, même lointain, revenir au pouvoir. Reste à savoir si le pouvoir est encore quelque chose qui a une existence quelconque aujourd’hui. L’édito politique de Jérôme Leroy.
Dans un sondage paru dans l’Opinion, il y a quelques jours, sur le premier tour des présidentielles, les résultats étaient sans appel. Marine Le Pen fait la course en tête, Emmanuel Macron la talonne. Ensuite, dix bons points derrière, on trouve d’éventuels candidats de la droite classique comme Xavier Bertrand et Valérie Pécresse. Quant à la gauche, elle arrive derrière avec un Mélenchon qui tutoie les 11%, un éventuel Jadot autour de 7 ou 8% et la gauche social-démocrate qui annonce une Hidalgo entre 6 et 7% et un Montebourg à 5%.
A lire aussi: Où va le populisme?
C’est mal parti et pour très longtemps
L’électeur de gauche quinquagénaire que je suis voit ainsi se confirmer une certitude un peu mélancolique : je ne reverrai pas la gauche au pouvoir avant ma mort. On m’objectera que ce n’est qu’un sondage à dix-huit mois de la présidentielle, il illustre quand même une tendance lourde. Bien sûr, la gauche aura toujours des mairies, des députés et des départements ou des régions. Mais pour la présidentielle, c’est plus que mal parti, et pour très longtemps.
Il y a à cela une première raison conjoncturelle : la Vème république étant un concours de beauté et la gauche ayant toujours tendance à la scissiparité plutôt qu’à l’unité, il devient impossible d’accéder au second tour. Il y a en une seconde, beaucoup plus grave qui est idéologique. La gauche, dans chacune de ses composantes, est prise en étau entre les partisans de l’intersectionnalité et ceux qui la voient comme un simple aménagement du libéralisme qu’elle teinterait vaguement de quelques mesures sociales. Mais pour l’électeur de gauche old school, comme votre serviteur, un républicain qui souhaite une rupture avec le système et une redéfinition des périmètres du marché avec l’éducation, les transports, la santé, la recherche, l’énergie, le crédit et la transition écologique qui devraient rester l’affaire de l’État, c’est-à-dire l’affaire de tous, eh bien l’horizon est complètement bouché.
A lire aussi: Isabelle Saporta: « Les maires EELV devraient être modestes et travailler »
On me dira Mélenchon ou les écolos ? Mais la France Insoumise est pourtant l’illustration de cette contamination de l’intersectionnalité qui explique d’ailleurs en grande partie pourquoi elle est passée de 19% à la présidentielle de 2017 à 6% aux dernières européennes. Pareil pour les écolos, qui comme le remarquait Hidalgo qui les connaît de près, ont un problème avec l’intangibilité des principes républicains.
Le pouvoir, pour quoi faire ?
Il ne faudrait pas pour autant que les droites macronienne, lepéniste ou classique se réjouissent. Marine Le Pen, par exemple, comme son père avant elle, joue le rôle de Goldstein dans 1984, l’ennemie officielle, choisie par Big Brother: elle est là pour faire peur, et au second tour, coaliser contre elle tous les autres. Et puis il n’est pas impossible que ceux qui seront au pouvoir dans les prochaines années, n’aient plus les moyens de mener la politique qu’ils souhaitent pour une raison bien simple: les catastrophes sanitaires et environnementales ne les laisseront pas appliquer leur programme.
A lire aussi: Eric Zemmour: ira, n’ira pas?
À ce titre la crise du Covid-19, qui n’est qu’un hors d’œuvre, en est déjà une preuve éclatante. Le quinquennat de Macron, qui devait nous amener à la victoire d’un néo-thatchérisme repeint à la couleur des start-up, est en train de se résumer à une gestion à vue d’une épidémie. Qui aurait imaginé, il y a un an, notre vie d’aujourd’hui ? Personne et surement pas Macron. Et qu’est-ce que ce sera, si réélu, il doit affronter des épisodes climatiques extrêmes comme une canicule de 2003 à la puissance dix ?
La Zad ou le monastère
La gauche n’aura plus le pouvoir mais il est bien possible que le pouvoir lui-même ne soit de toute manière qu’une notion très relative puisque il sera surtout occupé à gérer les effondrements successifs et mortifères de notre monde. Alors que faire ? Pour ma part, j’hésite à me réfugier dans une ZAD ou mieux, entrer dans un monastère, dominicain de préférence : je pourrais étudier tranquillement, en attendant la fin, ces beaux textes fondateurs du communisme que sont les Actes des Apôtres ou la Cité de Dieu de saint Augustin. Et à méditer sur ce que nous aurons raté alors que ce monde aurait pu être si beau.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !