Les mauvais élèves de l’austérité


Les mauvais élèves de l’austérité

Podemos Espagne Grèce Portugal Irlande

On sent bien, tout de même, qu’il y a encore des signes de vie en Europe. La Grèce avec Syriza, l’Espagne avec Podemos, demain sans doute le Portugal. Sans compter, en Irlande, les progrès électoraux constants du Sinn Fein. De là à parler d’un printemps de la gauche radicale, il y a un pas. Une alouette progressiste à Athènes ou à Barcelone ne fait pas le printemps. Mais tout de même : le capitalisme et la société de marché qui va avec ne semblent pas universellement convaincre tous les peuples de travailler plus et gagner moins : plus longtemps à l’échelle d’une vie alors que les gains de productivité n’ont jamais été aussi grands et aussi peu redistribués, ne serait-ce que sous la forme de temps libre comme le recommandait déjà Paul Lafargue dans son Droit à la paresse, il y a plus de… cent ans.

Le plus remarquable, sans doute, en ce qui concerne la Grèce, l’Espagne et le Portugal, c’est aussi ce désir d’échapper au talon de fer sans pour autant confier son destin à des partis populistes d’extrême-droite, qui se trompent plus ou moins consciemment d’ennemis en imputant tous leurs malheurs à une immigration largement favorisée par la mondialisation elle-même. C’est que chacun de ces trois pays a encore une date récente en mémoire. Le Portugal a dû attendre le 25 avril 1974 pour que des capitaines avec des œillets dans leurs fusils d’assaut mettent fin à la plus vieille dictature d’Europe occidentale. Pour l’Espagne, la transition démocratique ne put réellement commencer que le 20 novembre 1975 avec la mort de Franco, qui avait installé son règne en 1939 après une guerre civile  qui construisit la nouvelle Espagne en massacrant des dizaines de milliers de combattants républicains. Quant aux Grecs, après une éphémère tentation pour les néo-nazis d’Aube Dorée, là aussi la mémoire leur est revenue assez vite puisqu’entre 1967 et 1974, la dictature des Colonels, avec le soutien actif de la CIA, avait mis au pouvoir une junte aussi incompétente que féroce, mais profondément anticommuniste, ce qui justifiait à peu près tout, y compris la tuerie de l’Ecole Polytechnique, aux yeux de l’ami américain. Oui, décidément, quand vous avez connu ça et que vous voulez renverser la table, vous y réfléchissez à deux fois avant de confier ce soin à l’extrême droite, même parée des oripeaux d’un discours antisystème.

Mais au-delà de cette mémoire historique, on peut aussi penser que ces pays sont les premiers à ressentir les contradictions propres au système capitaliste, y compris dans sa dernière mue financiarisée. Grèce, Espagne, Portugal et même Irlande ont éprouvé dans leur chair la contradiction kafkaïenne consistant à vivre sous un régime toujours plus austéritaire qui veut restaurer une économie saine en contractant la demande, et donc toute possibilité de relance. Deux rapports récents viennent conforter l’intuition. Le premier émane de l’OCDE  qui n’est pas franchement une officine bolchévique : il confirme  la croissance depuis 30 ans des inégalités « arrivées à un point critique » dans les 34 pays qui composent cette organisation. Le revenu des 10 % les plus riches est aujourd’hui 9,6 fois plus élevé que celui des 10 % les plus pauvres. Dans les années 1980, ce multiplicateur était de 7. L’OCDE est composée surtout des pays les plus développés et prône des politiques uniquement libérales. Ses dirigeants expliquent pourtant que les inégalités seraient mauvaises pour la croissance. Cela n’empêche aucunement les gouvernements des pays membres de l’OCDE de pratiquer des politiques qui creusent ces inégalités. Marx, en son temps, appelait ça les contradictions du capitalisme. Le second rapport émane de l’OIT (Organisation internationale du travail). Celle-ci vient de publier ses statistiques sur l’emploi, qui se révèlent assez édifiantes : elles indiquent que plus de 60 % des travailleurs dans le monde n’ont pas d’emploi fixe, et que cette proportion est en augmentation constante. On sait que Laurence Parisot, qui pourtant apparaît comme presque sociale par rapport à son successeur à la tête du Medef, avait eu cette phrase immortelle : « La vie, la santé, l’amour sont précaires, pourquoi le travail échapperait-il à cette loi ? » Cela pourrait faire un très bon sujet pour le bac philo qui approche.

En tout cas, les électeurs grecs et espagnols ont déjà rendu leur dissertation. Et manifestement, l’Europe de Bruxelles n’a pas vraiment envie de leur donner la moyenne. Mais il se pourrait bien qu’ils n’aient plus grand chose à faire de ces examinateurs schizophrènes, ce qui est tout de même une bonne nouvelle.

*Photo : Wikimédia commons



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