Alors qu’elle se bouchait le nez à la simple évocation du mouvement « populiste » des gilets jaunes, toute une partie de la gauche a réussi à imposer ses problématiques au mouvement, et ainsi à le marginaliser…
Alors que la gauche s’apprête à subir une défaite électorale historique qui amplifiera le nouveau cycle de la vie politique française ouvert en 2017, il est intéressant de noter que, faute de convaincre, elle détient encore un fort pouvoir de nuisance qui s’exerce principalement sur les classes populaires et moyennes.
Au fond du couloir à gauche
Elle a su, entre casse gauchiste et slogans gauchos, dévier, récupérer et stériliser, le premier grand mouvement de révolte populaire de la Ve République ; un mouvement spontané, parti de la base, hors de l’encadrement des partis, des syndicats et des institutions subventionnées. Elle a finement joué le « sparring partner » du pouvoir en place, lui décrochant ses coups pour mieux le renforcer. La gauche, comme nous l’avions écrit ici-même au début du mouvement, « joue bien son rôle de garde chiourme de la colère populaire ». « La gauche m’a tuer », pourraient déclarer, sans rire, les derniers gilets jaunes des ronds points, laissés pour compte des périphéries oubliées.
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La gauche a enkysté le mouvement dans une contestation sociale centrée sur l’ISF et les cadeaux faits aux riches, oubliant au passage que la révolte des gilets jaunes exprimait d’abord un ras-le-bol du poids des prélèvements obligatoires et de l’appauvrissement général des revenus du travail, plutôt qu’un désir de punir et faire payer les « riches ». Un désir populaire de revalorisation du travail, qui peut, certes, viser les dérives d’un capitalisme prédateur, mais qui s’adresse tout aussi bien à ceux qui sont considérés comme des profiteurs du système sans que leur utilité sociale puisse le justifier ; politiques, syndicalistes, journalistes en vue, figures médiatiques, hauts-fonctionnaires, administrations impotentes ou répressives… En clair, une expression anti-système qui déborde largement une simple lecture sociale de lutte des classes que la récupération de gauche a fini par imposer, alors que le pouvoir de gauche, sous toutes ses formes, est un acteur majeur du système depuis bientôt quarante ans.
Un bon pauvre est un pauvre de gauche
Il y a quelque chose d’indécent à voir la CGT s’incruster, drapeaux rouges au vent, au sein des manifs de gilets jaunes, quand on se souvient, au début du mouvement, des propos très durs de son secrétaire général sur cette contestation « populiste ».
Philippe Martinez sur les Gilets jaunes : « Il est impossible d’imaginer la CGT défiler à côté du Front national » #le79Inter pic.twitter.com/WNFlz2QbCh
— France Inter (@franceinter) 16 novembre 2018
Jean-Luc Mélenchon, à cet égard, s’est montré plus malin, prenant le train au départ pour mieux le manœuvrer de l’intérieur. Oubliés en chemin, le RIC, la démocratie directe et la crise identitaire.
Avec une naïveté déconcertante, Danielle Simonnet, représentante de la France insoumise (LFI), ne revendiquait-elle pas, sur les plateaux de télé, le fait glorieux d’avoir, grâce à l’action de LFI sur le terrain, empêché la montée en puissance de la question migratoire au sein des gilets jaunes. Merci pour l’aveu ; d’un côté le pouvoir cogne, de l’autre la gauche fixe les bornes. Pris en sandwich entre l’image d’une violence nihiliste portée par l’ultra gauche, et un discours de contestation sociale dénaturé, la flamme de la révolte populaire vacille sans pour autant totalement s’éteindre.
C’est dans les vieux pots qu’on fait les meilleures déconfitures
Appelée à disparaître politiquement pour cause de sénilité idéologique, la gauche, désespérément, faute de pouvoir se réinventer, s’accroche aux vieilles recettes concoctées sous l’air Mitterrand, ce cocktail pavlovien d’ « anti-racisme » médiatique, d’antifascisme fantasmé et de libertarisme sociétal, auxquels s’ajoute désormais le sacré environnemental. Oui, mais les temps ont changé, et le délitement social se confond aujourd’hui avec le délitement identitaire amplifié par la crise migratoire. Les études d’opinion sont claires sur ce constat, quoiqu’en disent les injonctions de la bien-pensance.
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L’incendie de Notre-Dame de Paris, dans cette tension crépusculaire, rallume l’inconscient collectif des origines. La France, d’un coup, découvre qu’elle est submergée par l’émotion de voir brûler sa « dame », sa mère, sa matrice; celle qui vient de ce Moyen-Âge mystique que la doxa « progressiste » nous apprend à considérer comme une époque de violence, d’obscurantisme et de barbarie, depuis plus de deux siècles. Tout d’un coup, on parle de sa beauté lumineuse et de sa hauteur d’esprit ; le cœur de notre histoire, l’âme de notre identité. Décidément, on n’en a jamais fini avec le mystère de l’identité des peuples ! L’histoire n’a jamais dit son dernier mot.
La gauche, suite et fin ?
L’enfermement schizophrénique de la gauche face à la question identitaire la condamne à un processus de déclin irréversible ; l’exemple de l’effondrement du Parti communiste des années 90 est l’horizon balisé de la gauche française. Quand les arguments pour convaincre relèvent essentiellement du registre de la surenchère émotionnelle et normative – telle que les têtes de liste de gauche l’ont exprimé dans le premier débat télévisé des européennes – la fin n’est plus très loin.
Faut-il rappeler, sans cruauté excessive, que durant la campagne présidentielle de 2012, le candidat Mélenchon, avec l’emphase qu’on lui connait, annonçait, urbi et orbi, qu’il était absolument certain que son courant politique serait « au pouvoir avant 10 ans » ; son parti, aujourd’hui s’apprête à franchir la barre des 10%… à la baisse ! Toujours pour sourire et détendre l’atmosphère, Christophe Cambadélis, n’annonçait-il pas, en décembre 2016, juste avant la déroute de 2017, qu’il allait remettre le PS en marche pour en faire une grande force politique pour l’avenir, avec un objectif, dans l’année qui venait, de 500 000 militants. La gauche : un boulet pour le peuple, une chance pour Macron.
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