Le 12 octobre 1963 à Sarrola, sur les hauteurs d’Ajaccio, a eu lieu le mariage secret de Jean Seberg et Romain Gary. Cette journée est la pièce manquante dans la plupart des biographies et des épopées retraçant l’histoire d’un couple aussi improbable que légendaire. Ils viennent d’avoir un enfant, Diego, mais personne ne le sait. Jean est l’icône de la Nouvelle Vague et personne n’a, depuis, oublié le t-shirt du New York Herald Tribune qu’elle arbore comme une robe de couturier dans À bout de souffle.
Grâce aux relations de Gary, ancien combattant de la France libre, avec le gaullisme au pouvoir, il obtient de célébrer l’union dans la discrétion absolue permise par les services secrets français. Cela manque peut-être un peu de romantisme : « Pas d’orchidées pour miss Seberg » regrette Ariane Chemin qui s’est lancée sur la piste de ce non-événement médiatique dans Mariage en douce.
Gary anxieux à son mariage
Seberg et Gary n’ont eu de cesse « d’enfumer les biographes », sur tout et n’importe et quoi, depuis la date de naissance de leur fils jusqu’aux infimes détails de leur relation. Même leur mort, par overdose volontaire ou non pour Jean, suicide mis en scène pour Gary, demeure un coup de théâtre inextricable.
Sans briser la magie par une exégèse poussive, Ariane Chemin esquisse les contours d’une journée particulière où l’on devine Romain anxieux, guindé dans un costume de jeune marié qui sied mal à son récent divorce et à ses quarante-neuf ans. Jean sourit jaune sur les deux seuls clichés exhumés par la journaliste.
Vingt-quatre ans, divorcée également, jeune maman, un brushing soigné et un bouquet de fleurs arrachées dans un massif. Rien de ce qu’on imagine devoir être le « plus beau jour de leur vie » ne transpire de ces souvenirs. Ce « mariage en douce » a l’air d’une anomalie dans la romance aventurière, chaotique, de ces deux êtres sauvages, exilés perpétuels.
Le tourbillon de la vie
Ils se sont aimés violemment tout autour du monde, ne se sont jamais vraiment quittés, mais on les devine, à leurs visages sur papier glacé, attirés et repoussés d’un même mouvement l’un vers l’autre comme deux aimants surpuissants. Le dernier survivant de la cérémonie, un nonagénaire qui enflamme la piste de danse d’une boite d’Ajaccio, emmène Ariane Chemin et ses lecteurs dans un tango chaotique, entre les arcanes de la toute jeune Vème république, les dîners du couple chez les Kennedy, l’enfance de Jean, fille de pharmaciens de l’Iowa propulsée star par un télé-crochet et celle de Romain, à Vilnius, dont le père a péri dans les camps de la mort.
Une actrice adoubée par Les Cahiers du Cinéma et un futur double prix Goncourt avaient-ils quelque chose à se raconter ? Sans aucun doute. Une conversation sourde et incessante, même après leur divorce ; la certitude, pour chacun, d’avoir trouvé en l’autre la pièce manquante de son propre puzzle.
Quand Romain Gary se suicide, le 2 décembre 1980, d’une balle de Smith and Wesson – dont le numéro gravé sur la crosse ne correspond à rien, encore une pirouette – il précise dans sa lettre d’adieu : « Aucun rapport avec Jean Seberg. » Aucun.
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