Les personnels des sociétés produisant des fictions pour la télé, le cinéma et les jeux vidéo doivent désormais se plier à un stage pour « prévenir et agir contre les violences sexistes et sexuelles dans l’art et la culture ». Certains voient derrière cette belle intention une censure à peine déguisée dans un milieu déjà travaillé par la culture woke.
Madame Rima Abdul Malak, ministre de la Culture de notre beau pays, est-elle en train de devenir la mère fouettarde de la production audiovisuelle ? Satisfaire les canons des nouveaux conformismes est devenu le sommet de son art politique. Après s’être montrée menaçante sur les retraits de fréquence des chaînes de télé qui ne traverseraient pas dans ses clous, elle a décidé d’inculquer avec fermeté aux professionnels de la production les vertus de l’autodiscipline.
Désormais, toute société de production de fiction télé, cinéma et jeux vidéo est priée de se soumettre à un stage destiné à « prévenir et agir contre les violences sexistes et sexuelles dans l’art et la culture ». Les espaces de travail et de tournage, lieux de perdition supposés, sont concernés.
L’étouffement par la subvention
Selon la brochure du Centre national du cinéma (CNC), l’organisme chargé par la ministre de l’application de cette formation, celle-ci est « non obligatoire mais indispensable ». Qu’en termes choisis… Pour les professionnels, la nuance est de pure forme. Ceux qui n’obtempéreront pas seront privés de toute aide ou subvention (et on sait qu’elles abondent) délivrée par le CNC. Dans les faits, c’est l’équivalent d’une condamnation à la faillite.
Passons sur le flou des mots qui décrivent la mission (qu’est-ce au juste que « prévenir une violence », où cela commence-t-il précisément ?). Il n’en reste pas moins que pourfendre la violence sexiste est une cause indiscutable, de même que sa prévention. À ce titre, ne serait-il donc pas logique de faire de cette protection contre les abus une cause universelle ? Les producteurs d’émissions de flux (le direct) échappent pour le moment au dispositif. Mais aussi les cirques, l’opéra, les festivals de musique, les carnavals, les maisons d’édition, les foires aux livres, les expositions, tout comme – au hasard – une bonne partie du personnel politique, celui des écoles, des universités, des colonies de vacances, les membres des clergés… Pourquoi limiter ainsi l’éducation des masses potentiellement harceleuses ? Pour quelle raison ces travailleurs ne bénéficieraient-ils pas de telles mesures rééducatives ?
Posons plutôt la question dans l’autre sens : pourquoi choisir de montrer du doigt tout particulièrement cet univers-là ? Pourquoi désigner comme présumée coupable la production de fictions, au point qu’une telle « formation » lui soit strictement réservée ? Plus que largement médiatisés, les sorts des Weinstein, Polanski et Woody Allen ont pourtant joué un rôle de sensibilisation et de dissuasion considérable. Les consciences ont été copieusement éveillées, et l’opinion n’a de cesse de poursuivre ou d’incarcérer les méchants désignés. Alors pourquoi cet acharnement des institutions à aménager contre la fiction ce régime de défaveur ?
Dans le viseur, un secteur déjà frileux
Des professionnels de la création audiovisuelle redoutent que ces dispositions qui leur sont spécifiquement adressées encouragent l’autocensure des œuvres elles-mêmes. Au-delà des pratiques, ce seraient les contenus qui seraient visés : un nouveau tour de vis, une étape de plus vers la frilosité.
La production française sort pourtant rarement des sentiers battus et ne brille plus depuis belle lurette par son originalité ou ses impertinences. Mais la bien-pensance en réclame toujours plus ; c’est-à-dire toujours moins. La véritable irrévérence semble aujourd’hui bannie.
« Certes pour les âneries à base de gros gags et les comédies gentillettes, il y a toujours de la place, mais dès qu’on veut élever le débat, aujourd’hui, tout va dans le même sens. Les chaînes publiques et privées, les institutions du secteur, la majorité des médias et critiques veillent au grain », commente tristement un producteur qui préfère rester anonyme. Sont privilégiés les sujets sociétaux limités qui repassent les mêmes plats : la condition féminine, la repentance coloniale, les injustices sociales, l’exclusion, etc. » Silence, on tourne en rond.
« Pas une chaîne ne prendrait aujourd’hui le risque de soutenir les films de Bertrand Blier ou de Jean-Pierre Mocky, et des œuvres comme Portier de nuit ou La Grande Bouffe seraient jugées trop dérangeantes », conclut le producteur. Le vrai scandale, finalement, c’est l’absence de scandale.
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À l’étranger, c’est pire encore. Les Anglo-Saxons s’adonnent de façon ahurissante à ce révisionnisme. Disney a déjà purgé certaines de ses créations de tout ce qui pourrait gêner la woke-culture. Chez Netflix, on réfléchit aussi activement au sujet. Et l’affaire des livres de Roald Dahl, d’Agatha Christie et de Ian Fleming rewrités pour satisfaire la nouvelle doxa puritaine fait froid dans le dos. Un siècle après l’instauration du code Hays qui régissait les vertus des films hollywoodiens et interdisait les propos violents, les scènes de consommations d’alcool et les baisers de plus de deux secondes, une pudibonderie nouvelle fait son entrée sur scène. La fameuse autodiscipline cède insidieusement la place à une réelle autocensure.
Dans ce climat de chasse aux prédateurs – dangereux, potentiels ou supposés –, il est encore possible de sourire : imposant d’un côté la lutte contre les « violences sexistes et sexuelles », Rima Abdul Malak a, de l’autre, récemment confirmé dans ses fonctions Dominique Boutonnat, le président du CNC, accusé d’agression sexuelle sur son filleul âgé de 20 ans. Le jugement est à venir, mais l’on peut se demander où Madame la ministre puise l’inspiration de ses directives.