Jusqu’au 10 avril, le monde politico-médiatique a globalement épargné la candidate du Rassemblement national, décochant toutes ses flèches contre Éric Zemmour. Mais sitôt la candidate qualifiée au second tour, les médias ont de nouveau sorti l’artillerie (« antifasciste ») lourde. Notre chroniqueur revient ici sur les principaux faits d’armes de cette période.
Dans un contexte de concentration des médias aux mains de quelques individus et où l’uniformité idéologique est plutôt de mise, le président sortant vient d’être réélu sans suspense. S’il est légitime que les médias aient leurs lignes éditoriales, les appels plus ou moins voilés à voter pour Macron n’ont fait que toujours plus confirmer qu’ils ne sont plus engagés en faveur de la démocratie qui suppose une information aussi honnête que possible, mais enfermés dans une impasse.
Macron, l’éternel candidat des médias ?
Par exemple, il y a cinq ans, les médias imposèrent Emmanuel Macron grâce à un matraquage médiatique décrypté par le politologue Thomas Guénolé dans Marianne [1] en février 2017. Alors que l’on pilonna François Fillon devenu un gendre peu idéal, on traita beaucoup moins de l’utilisation à des fins de campagne par Macron de 80% du budget dédié aux frais de représentation de tous les ministères de Bercy [2], au grand dam de Michel Sapin, son ministre de tutelle. Macron put se retrouver face à Le Pen et griller les feux rouge le soir du premier tour comme s’il venait de remporter la présidentielle.
Auraient-ils à nouveau voulu un second tour où s’opposeraient Emmanuel Macron et Marine Le Pen en 2022, les médias ne s’y seraient pas autrement employés ! Il est utile d’avoir cette dernière face à soi pour bénéficier du théâtre antifasciste dénoncé par l’ancien Premier ministre socialiste Lionel Jospin lui-même. La qualification de la candidate du Rassemblement national a été favorisée par l’aménité complaisante de nombre de journalistes à son endroit, avant le 10 avril 2022. Comme Macron, Le Pen a globalement bénéficié de la bienveillance des médias, mais la profession a par la suite assez souvent proposé une couverture négative de ses faits et dires, extrapolant largement, même si des vérifications de faits ont également été objectives et en sa faveur – ainsi l’admission, par TF1, des chiffres de l’endettement non lié au Covid opposés à Macron par sa rivale (voir ci-dessous). Reste que de nombreuses informations pouvant désavantager le président sortant ont bénéficié des ciseaux d’Anastasie s’imposant d’eux-mêmes dans les esprits.
Le 14 avril dernier, le New York Times affirma, dans l’indifférence générale des médias français, que l’Union européenne lancerait au plus tôt juste après l’élection présidentielle française des discussions quant à un embargo sur les produits pétroliers russes qui provoquerait une flambée des prix. Il s’agissait notamment de ne pas nuire aux chances de réélection d’Emmanuel Macron [3], selon le Times qui disait tenir l’information de diplomates et hauts fonctionnaires européens. Le Figaro fut le seul grand média français à le mentionner, sur un fil d’actualité…
Même la lampe du célèbre journal new-yorkais, tant prisé des médias français, fut mise sous le boisseau durant cette campagne !
Extrapoler sur le risque Le Pen, ne pas questionner le bilan de Macron
« Si Marine Le Pen était élue, voici l’arsenal nucléaire qui se trouverait entre ses mains », titra L’Obs trois jours après le premier tour [4], affirmant que la présidente disposerait alors de la possibilité de causer l’équivalent de 48 000 Hiroshima. Le sous-entendu était clair : prière de trembler dans les chaumières ! On n’était pas loin de la démocrate Nancy Pelosi qui avait prétendu craindre que Donald Trump ne déclenche une guerre nucléaire dans les derniers jours de son mandat. Peu importe que le Front national fût le seul grand parti à s’opposer à la guerre en Libye ou à l’intervention militaire française en Côte d’Ivoire en 2011. Après avoir fait assaut d’amabilités envers la candidate du RN, une grande partie des médias feignirent de s’inquiéter de sa possible élection et sonnèrent si bien le tocsin de l’inquiétude républicaine que le candidat Emmanuel Macron creusa l’écart dans les sondages tout en fuyant autant que possible les débats, reprenant les poncifs d’une prétendue résistance au fascisme. On relèvera tout de même l’impartialité appréciable des deux modérateurs lors du débat du second tour, Léa Salamé et Gilles Bouleau.
Macron prit des points dans les sondages en dépit de toutes les révélations dernièrement parues – surtout sur les réseaux sociaux et l’incontournable Sud Radio – quant à de potentiels conflits d’intérêts dans l’attribution de missions à des cabinets privés ou au scandale Alstom / General Electric. Si les grands médias parlèrent de McKinsey, ils le firent surtout sous l’angle de l’optimisation fiscale et non sous celui de la participation bénévole supposée de salariés du cabinet à la campagne de 2017. Lorsqu’un citoyen interpelât Emmanuel Macron en Alsace sur le sujet de l’hôpital, traité à la va-vite par tant de journalistes, le président de la République put lui répondre sans se soucier des médias : « Mais vous êtes fou ou quoi ? […] Vous, ça se mélange quand même beaucoup dans la tête ! » Aurait-il pu objecter cela à des journalistes le questionnant fermement sur l’hôpital ?
Un répit pour Marine Le Pen, utile à une dédiabolisation provisoire
Marine Le Pen n’eut pas à faire face à l’équivalent de cette rue de 2002 occupée par l’angélisme, dont parlait Philippe Muray, mais, dès après le premier tour de la présidentielle, on feignit soudainement de se rappeler que l’éleveuse de chats surveillerait en réalité des camps nazis à l’aide de bergers allemands, ou plutôt russes si elle remportait l’élection.
Alors qu’ils avaient pilonné la campagne d’Éric Zemmour, coupable d’avoir notamment dit ne pas croire que Vladimir Poutine attaquerait l’Ukraine, sans l’exclure – comme Dominique de Villepin ou Emmanuel Macron qui se mettait en scène en sauveur de la paix qu’il semblait croire acquise -, les journalistes avaient dans l’ensemble légèrement critiqué le précédent soutien de Marine Le Pen à la Russie avant le premier tour. Juste ce qu’il fallait pour la forme. Mais après le 10 avril, il fût même jugé professionnel de laisser entendre que la candidate soutenait encore l’autocrate russe [5] ; et l’on évita de s’indigner que Macron se mît indécemment en scène quant au drame qui frappe le peuple ukrainien. De même, il convint de ne pas trop s’interroger concernant la possibilité d’un grand parti macronien allant des chevènementistes aux sarkozystes et du risque que le Conseil constitutionnel ne devienne une simple chambre d’enregistrement validant tous les projets de lois votés par des parlementaires godillots.
Marine Le Pen avait toute l’attention des médias lorsqu’elle prétendait, sans donner de noms, que des néo-nazis avaient rejoint Éric Zemmour, elle bénéficiait de leur bienveillance affichée lorsqu’elle affectait d’être très peinée d’apprendre que sa nièce Marion Maréchal avait choisi de rejoindre « Reconquête ». Ils reprenaient en chœur et en boucle le mot « trahison », laissant entendre que l’on devait forcément partager les mêmes idées que ses aînés dans sa famille. Il pouvait exceptionnellement arriver que l’on se montrât agressif envers elle, mais c’était bien moins qu’à l’endroit de son rival direct. Ainsi, sur France 2, Julien Bugier alla jusqu’à demander à Marine Le Pen si elle pensait comme Éric Zemmour qu’un immigré était forcément un voleur (voir ci-dessous), sachant qu’elle serait heureuse de se démarquer de tels propos dont elle ne pouvait cependant ignorer qu’ils n’avaient jamais été tenus par son rival.
Sur les réseaux sociaux, on put voir des partisans de Le Pen ronronner de plaisir, heureux de ne plus être mis au ban de la société. Certains naïfs poussèrent même le délice jusqu’à taxer d’extrémisme de droite les partisans de Zemmour. La réalité doit leur être rude, leur championne est redevenue un danger pour les médias après une éphémère dédiabolisation.
Censé être l’un des acteurs majeurs de la vie publique, le journalisme ne représente plus un quatrième pouvoir, mais est devenu à bien des égards une énième chambre d’enregistrement des politiques et déclarations de l’exécutif, même quand celui-ci remet sa casquette de candidat. On se souvient encore de l’émoi suscité par la directrice de la rédaction de BFMTV, Céline Pigalle, lorsqu’elle avait affirmé, maladroitement, que sa chaîne avait choisi de ne « pas trop aller à rebours de la parole officielle, puisque ce serait fragiliser un consensus social »…
[1] https://www.marianne.net/agora/tribunes-libres/oui-le-phenomene-macron-etait-bien-une-enorme-bulle-mediatique
[2] https://www.leparisien.fr/politique/le-livre-polemique-sur-ses-depenses-a-bercy-25-01-2017-6614616.php
[3] https://www.nytimes.com/2022/04/14/world/europe/european-union-oil-embargo-russia-ukraine.html
[4] https://www.nouvelobs.com/affaires-secretes/20220413.OBS57082/si-marine-le-pen-etait-elue-voici-l-arsenal-nucleaire-qui-se-trouverait-entre-ses-mains.html
[5] https://www.lesechos.fr/idees-debats/editos-analyses/la-dangereuse-fascination-de-marine-le-pen-pour-poutine-1401265