Je partage avec mes compatriotes juifs le malheur d’être français mais, catholique, je ne jouis point, comme eux, du redoutable privilège d’être juif. Si je me sentais menacé dans mon pays, où irais-je ? Ma misérable personne n’a aucune chance de trouver sous d’autres cieux une nationalité de substitution. Me présenterais-je même au Vatican, hâve et désespéré, tenant dans ma main haut levée les certificats de baptême de mes ascendants directs et indirects sur dix générations qu’on ne m’accorderait guère plus qu’une bénédiction mais, assurément, pas un visa et moins encore un passeport. Quant à Tel Aviv ou Jérusalem, où se déclarer français équivaut presque à se promener dans les rues en uniforme nazi, je ne saurais y espérer autre chose qu’un statut précaire de clandestin ![access capability= »lire_inedits »] Bref, si je quittais la France, désormais honnie du monde entier, je deviendrais un réprouvé de toutes les nations, un clandestin de toutes les frontières, menacé ici et là à cause de ma religion, mal venu partout par la faute de ma nationalité. J’inaugurerais la triste condition du Français universellement réprouvé, du catholique errant !
Mes concitoyens juifs disposent en revanche tout naturellement d’une position de repli, baignée par deux mers, dont une Morte, certes, et très salée, mais presque paisible et garantissant un taux de flottabilité bien supérieur à celui de la mer du Nord ! Il en est qui s’en vont, certains reviennent, d’autres s’établissent. Seront-ils, en grand nombre, sensibles à l’invitation que leur a lancée M. Nétanyahou, à Paris, le 31 octobre, et à son incantation « électorale » lancée le 1er novembre à Toulouse ?
La cérémonie du souvenir qui eut pour cadre l’école Ohr-Torah (ex-Ozar-Hatorah), fut de fort belle tenue. On y évoqua les figures des victimes de Mohamed Merah : les enfants, le directeur de l’école (tués parce qu’ils étaient juifs), et les trois soldats. Les témoignages du père de Myriam, Yaakov Monsonego (bouleversant), du père de Jonathan Sandler, directeur de l’école, exécuté en portant secours à ses deux petits, Gabriel et Aryeh, assassinés eux aussi, d’Eva Sandler, leur mère, veuve de Jonathan, resteront dans nos mémoires. Le président Hollande eut raison d’affirmer que la sécurité des juifs de France « n’est pas l’affaire des juifs mais celle de tous les Français ».
Après lui, M. Nétanyahou prit la parole, d’abord en français, puis en hébreu. Ce politicien roué mais de petite envergure, brutal par calcul plus que par conviction et moins encore par éducation (c’est un bourgeois bien élevé, m’a confirmé un ami, très au fait de la vie politique israélienne), me fit d’abord une excellente impression. Sans atteindre le niveau d’expression de l’homme d’État qu’il ne sera jamais, il sut trouver les mots de compassion vraie pour les victimes, et de sympathie pour notre pays. Puis, soudain, l’ambiance se transforma. Elle devint celle d’un meeting : M. Nétanyahou n’était plus le premier ministre d’un pays ami, mais un candidat en campagne « hors sol », le protecteur autoproclamé des juifs de France qu’il avait, la veille, lors d’une intéressante conférence de presse à l’Élysée (il s’y était déclaré prêt à retrouver les Palestiniens à la table des négociations), invités à rejoindre Israël pour leur sécurité (dont n’a hélas point bénéficié l’infortuné Rabin, assassiné par un « agité du local »), un militant énervé de la cause sioniste, associé, dans son pays, à un personnage aussi détestable que M. Lieberman. L’émouvante cérémonie se changea en réunion électorale, pauvrement scénarisée : des jeunes gens vinrent sagement prendre place derrière la puissante carrure de M. Nétanyahou, formant une frise de soutien presque trop joyeuse dans cette circonstance. La salle, à l’exception des officiels français, reprit en chœur les mots martelés avec une certaine véhémence par Benyamin Nétanyahou : « Am Israel Haï ! » (« Le peuple d’Israël vivra ! »). C’était fini ! Toute l’émotion, profonde, sincère, était brutalement balayée par cette manifestation, que la présence de François Hollande rendait incongrue. M. Nétanyahou prenait le contrôle de la salle, imposait son allure, sa morale, sa vision du monde.
D’officielle, la cérémonie devenait politique et, d’institutionnelle, elle se faisait, d’une certaine manière, confessionnelle. Tout le monde était ainsi pris en otage, capturé par un politicien en campagne : les juifs de France, le gouvernement, tous les Français. Que faisait alors le Président de la République française ? Venu pour apporter son soutien à des femmes, des hommes, des enfants accablés par le malheur, il se voyait contraint d’en être le spectateur, et de l’approuver. Malaise…
La menace qui pèse sur les juifs, en France, pèse sur tous les Français qui, tous, ont été révulsés par les événements atroces de Toulouse. Le crime de Merah n’était pas un crime français, mais l’acte d’un misérable en proie à ses démons intérieurs, saisi par terrifiante idéologie, vaine, sanguinaire et pleine d’obscurité qui, si elle prospère ici, n’a strictement rien à voir avec notre histoire. Israël est une démocratie dynamique, très sourcilleuse sur la question de la séparation des pouvoirs. Depuis une vingtaine d’années, une (petite) partie de son malheur lui vient de son élite dirigeante : Israël, son peuple, ses institutions n’ont pas une classe politique digne d’eux. Alors, mes chers compatriotes juifs, réfléchissez bien avant de faire votre alya : Israël est certes un beau pays, une nation jeune, vigoureuse, mais n’oubliez pas qu’il y a là-bas plein de Juifs et plein d’Arabes ![/access]
*Photo : Libération/Patrick Peccatte.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !