Pour une fois qu’un film me fait songer, par le biais d’étranges associations – un livre de La Brigandine – à ces romans de gare auxquels j’ai consacré une étude, je ne vais pas me priver d’y faire allusion. En effet, dans Pompe le mousse de Hurl Barbe (alias Pierre Laurendeau), un des plus rocambolesques récits de la collection, deux héroïnes ballottées au gré des événements se retrouvent à bord d’un sous-marin et échouent sur l’île de Tamoé. Dans un improbable hommage à Jules Verne, l’auteur décrit le capitaine cruel de l’équipage de cette manière : « Il écarta les pans de sa vareuse cartonnée par la crasse et exhiba un chibre monstrueux et vérolé, sur lequel s’étaient incrustées des coques, des moules, des palourdes. » Je rassure les plus sensibles de mes lectrices, Mandico ne nous propose pas semblable vision mais son capitaine exhibe pourtant, de la même manière, un imposant engin sur lequel se trouve tatouée une sorte de carte marine ! Dans les deux cas, le sexe devient un étrange élément topographique, un territoire mystérieux (et parfois inquiétant) à explorer.
Ce capitaine a pour mission de « dresser » cinq jeunes garçons qui ont sauvagement violé leur professeur et l’ont attachée nue à un cheval (un petit clin d’œil au mythe de Mazeppa). Pour cela, il les accompagne sur une île tropicale qui, par certains aspects, rappelle l’île de Tamoé de Pompe le mousse. Pour être plus précis, il faudrait souligner que cette île vient directement d’Aline et Valcour de Sade et que le « grand seigneur méchant » y décrit une sorte de monde utopique où les habitants vivent en harmonie avec la nature, selon leurs désirs et qu’ils se sont débarrassés de tous les poisons de l’existence : la monnaie, l’Etat, la police, la justice, les hiérarchies. L’île de Mandico est quasiment dénuée de présence humaine mais, à l’instar de toute une lignée littéraire, elle devient une sorte de laboratoire à ciel ouvert permettant d’ausculter les profondeurs de la nature humaine. Le cinéaste ne se prive pas d’érotiser la végétation, de multiplier les symboles sexuels, à l’image de ces « plantes sexes » où vont s’abreuver la bande de garçons. L’abondant liquide blanchâtre qui sort de ces végétaux phalliques est un clin d’œil évident à La Bête de Borowczyk, une des références majeures de Mandico (un de ses courts-métrages s’intitule Boro in the Box).
Cinq garçons incarnés… par des actrices
Toute la beauté de ces Garçons sauvages tient dans cette île étonnante, à la fois dans cette manière qu’a le cinéaste de faire valser toute attache au naturalisme ou au « réalisme sociologique » (voir Jusqu’à la garde) de rigueur dans une bonne partie du cinéma d’auteur français mais également dans cette manière de convoquer un imaginaire débridé qui doit aussi bien aux romans d’aventures de Stevenson et de Verne qu’à l’imagerie homo-érotique de Genet revisitée par Fassbinder (Querelle, bien entendu) ou Kenneth Anger en passant par la littérature fin de siècle, décadente et faisandée à souhait (du Jardin des supplices de Mirbeau à la poésie de Jules Laforgue : « Mon cœur est un terreau tiède, gras et fétide/ Où poussent des fleurs d’or malsaines et splendides »).
Ce catalogue de références ne doit pas nous faire oublier l’originalité d’un film qui ne se cantonne pas à son décorum fait de bric-et-de-broc et de visions surréalistes. Mandico parvient à créer de véritables personnages ambigus qui évoluent d’une sauvagerie dite « civilisée » (ils sont tous fils de bonnes familles, ont de l’argent, incarnent la quintessence de la « masculinité » dans ce qu’elle a de plus caricaturale et idiote) pour retrouver une certaine « humanité » et « féminité » en renouant avec la nature et la profondeur de désirs affinés (comme dirait Vaneigem qui, lui aussi, a écrit un roman se déroulant sur une île pour les collections Bébé Noir/ La Brigandine !). On le sait, ces cinq garçons sont tous incarnés par des actrices (toutes superbes, avec un petit coup de cœur pour ma chouchoute Vimala Pons !), ce qui permet à Mandico de brouiller encore un peu plus les pistes entre le Réel et l’imaginaire, de refuser les identités sexuelles trop définies et de nous emporter vers des horizons inédits.
Pourtant, il n’y a pas traces de catéchisme bien-pensant ou de leçons de morale à deux balles dans ces Garçons sauvages qui exaltent la vie et les désirs dans ce qu’ils ont de plus « naturel » en nous invitant à nous débarrasser des rôles imposés par la société et à retrouver une certaine « sauvagerie » qui sera, pour le coup, beaucoup moins barbare que tous les crimes commis au nom de la « civilisation »…
Les Garçons sauvages (2017) de Bertrand Mandico avec Vimala Pons, Diane Rouxel, Pauline Lorillard, Nathalie Richard, Christophe Bier. En salles depuis le 27 février.
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