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Sensualité moite d’une île tropicale

Un inédit de Gabriel Garcia Marquez pour cet été


Sensualité moite d’une île tropicale
DR.

Commencé en 1999, Nous nous verrons en Août, dernier ouvrage du Prix Nobel 1982, aurait pu ne jamais voir le jour.


Depuis la publication posthume de ses écrits journalistiques – Le scandale du siècle, en 2022 – on croyait la découverte de l’œuvre de Gabriel Garcia Marquez bel et bien achevée. C’était sans compter l’opiniâtreté de ses deux fils Rodrigo et Gonzalo Garcia Barcha. Dix ans après la mort de leur père, ces derniers décident de publier Nous nous verrons en août, roman inédit dont l’écrivain colombien n’était pas satisfait. Il en avait toutefois donné des lectures publiques et avait accepté que des extraits paraissent dans le journal espagnol El Pais.

Pourquoi alors ce jugement sans appel ? « Ce livre ne marche pas. Il n’y a qu’à s’en débarrasser ».  Ses fils avancent une hypothèse : le découragement de leur père confronté à la maladie qui l’avait amené à déclarer : « La mémoire est à la fois ma matière première et mon instrument de travail. Sans elle il n’y a rien ». Son projet initial était d’écrire cinq récits autonomes avec pour même protagoniste Ana Magdalena Bach et pour thème récurrent les amours tardives, mais son état ne lui permis pas d’en venir à bout. Le premier d’entre eux commence ainsi : « Elle revint dans l’île le vendredi 16 août par le bac de trois heures de l’après-midi. Elle portait un jean, une chemise écossaise à carreaux, des chaussures simples à talon plat, sans bas, une ombrelle en satin, son sac à main et, pour tout bagages, une mallette de plage » – et, d’emblée, un monde se déploie. C’est le propre des grands écrivains que d’imposer une voix. Celle de Gabriel Garcia Marquez se reconnaît entre toutes.  On ne saura rien de l’île, si ce n’est qu’elle se trouve dans les Caraïbes. Qu’elle regorge d’une végétation luxuriante et abrite une vaste faune tropicale. Ana Magdalena s’y rend donc chaque 16 août pour aller fleurir la tombe de sa mère. Le rituel est immuable.

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Chaque année elle prend le bac en début d’après-midi, puis un taxi, elle se rend à son hôtel, toujours le même, achète un bouquet de glaïeuls à la même fleuriste et se rend au cimetière. Ana Magdalena Bach a cinquante ans, deux enfants et un mari chef d’orchestre avec qui elle file le plus parfait amour. C’est une de ces femmes dont on dit qu’elle est toujours belle pour son âge et qui n’a connu qu’un homme dans sa vie. Jusqu’au jour où sa route croise celle d’un bel inconnu. L’homme la séduit. Elle passe la nuit avec lui. Puis chaque année, elle retourne dans l’île et chaque année, fait la découverte d’un nouvel amant. Le premier à l’initier à l’adultère la marquera à jamais : « Plus jamais elle ne devait être la même. » Puis il y aura la rencontre avec un proxénète, celle avec un ancien ami et même celle avec un évêque ! Rien ne saurait arrêter cette femme frappée du démon de midi. Il y a une sensualité extrême dans ces pages qui s’accorde avec la moiteur du climat et ne verse jamais dans la vulgarité. Avec ses partenaires, Ana Magdalena redécouvre son corps et les plaisirs insoupçonnés qu’il recèle.

Mais cette présence d’Eros ne va jamais sans Thanatos. La mort rôde autant que le désir dans ce court opus qui brosse le portrait d’une femme libre. Un roman solaire et sensuel qu’il eut été dommage de ne pas découvrir.

Nous nous verrons en août de Gabriel Garcia Marquez, traduit de l’espagnol par Gabriel Iaculli, éditions Grasset, 138 p.

Nous nous verrons en août: Roman

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Alexandra Lemasson est critique littéraire. Elle collabore au JDD et à la Revue des deux mondes. Elle est l'auteur de : Virginia Woolf aux Editions Gallimard et La petite folie aux Editions Léo Scheer.

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