Dans sa Propédeutique à l’usage des blogueurs, le Pr Swift (Jonathan) explique combien il est important de trouver un titre accrocheur afin de convaincre le lecteur électronique d’ «entrer dans la chronique». Je m’y risque dans cette tribune avec un ChengYu, l’une de ces mille brèves formules, le plus souvent en quatre caractères, que tous les Chinois connaissent. Ce peut être quelquefois un raccourci d’une sentence plus longue mais qu’il est inutile de citer intégralement.
Si le lecteur m’a suivi jusqu’ici, l’étape n°1 est franchie ! C’est le moment d’expliquer le titre : «Chercher son point G avec l’index sans enlever son jean» est une traduction, qui en vaut une autre, du ChengYu 「隔靴搔癢」«GéXuēSāoYǎng» littéralement : «se gratter entre les orteils sans enlever ses chaussures», pour décrire quelque chose de complètement vain, et donc inutile.
Qu’est ce qui est vain, et sans doute inutile, dans la presse d’avril 2015 ? C’est, entre autres, la lubie de Mme Gao Yu, une journaliste chinoise de 70 ans qui vient d’être condamnée à 7 ans de prison par un tribunal pour avoir – c’est l’accusation qui le dit – «trahi un secret d’Etat» en révélant à une revue électronique chinoise publié aux État-Unis, «MingJing», la directive n°9 du gouvernement contre les idées et valeurs libérales occidentales.
En fait cette «Directive n°9» avait déjà largement circulé, tout comme fuitent régulièrement les «listes hebdomadaires de mots et de sujets à prescrire ou à proscrire, adressées par le gouvernement aux organes de presse et de télévision». Un site web californien s’est fait une spécialité de diffuser ces listes régulièrement.
Quand un “décret suprême”, et suprêmement confidentiel, est lancé aux 80 millions de membres du PCC cela ne peut que finir par se savoir. Et l’on peut s’interroger sur la logique d’un système qui s’adresse confidentiellement à 80 M de membres du PCC pour leur expliquer quels mots sont à proscrire, quand cette même classe dirigeante cause au reste de la population.
Par ailleurs, était-ce vraiment trahir un secret (d’Etat, qui plus est) de révéler que le gouvernement chinois «n’aime pas les valeurs libérales» ? On sait fort bien que, depuis la mort du Président Mao, le PCC aime le capitalisme dans sa version améliorée par le maoïsme, mais ne souffre pas la pollution intellectuelle du libéralisme. Pourtant, Friedrich Hayek a été traduit en chinois, comme presque tous les penseurs libéraux occidentaux ; et les vivants parmi eux sont même invités à donner des conférences en Chine. (Voir le lien sur les traductions chinoises de La Route de la servitude)
Quelles ont été les conséquence de la lubie de Mme Gao Yu ? Tout d’abord elle a eu beaucoup de chance d’être condamnée par un vrai tribunal à 7 années seulement de vraie prison, après un vrai procès, quoique non public, où elle a été assistée par un vrai avocat plaidant devant un vrai procureur et de vrais juges.
Il y a moins de trente ans, Mme Gao n’aurait pas eu de procès du tout et aurait sans doute été exécutée sans délai, et peut-être son foie eût-il été dévoré par des gardes rouges (voir Massacres de la révolution culturelle de Song YongYi. De quoi se plaint-elle donc ?
Le Pr Swift, s’il pouvait me conseiller plus avant dans la rédaction de ce blog, ajouterait que Deng XiaoPing lui-même sut faire preuve d’une grande retenue en ne tuant que 2000 manifestants pacifiques le 4 juin 1989 et, les jours suivants, en en passant par les armes quelques-uns de plus.
C’est sans doute la raison pour laquelle son nom a été donné à la place de la gare à Montargis, la petite ville où, en 1920, dans sa jeunesse, il avait appris le français et confectionnait des galoches à l’usine Hutchinson. La direction de l’entreprise le tenait pour une mauvaise tête : à cette époque Deng était partisan de donner le droit de vote aux prolétaires chinois…
En juin 1989, juste avant le massacre perpétré sur son ordre, ne vit-on pas le jeune et impudent Ouïgour WuErKaiXi en pyjama sur la Place TianAnMen apostropher sans vergogne le premier ministre Li Peng ? Ne vit-on pas, sur les chaînes de télévision du monde entier, une statue dans le style de La Liberté guidant le peuple de Delacroix, ou de la Statue de la Liberté de Bartholdi à l’entrée du port de New York, inconsidérément appelée la Déesse de la démocratie ? Si le Président Mao avait vu ça, n’aurait-il pas anéanti cent fois plus de de ces jeunes Pékinois en plein délire démocratique ?
J’en viens maintenant au véritable danger qui sous-tend toutes ces prétentions à la démocratie : le risque, incroyable, que les Chinois demandent des élections !
Les lecteurs de «Causeur» connaissent tous quelques Chinois, et même sans doute des Taiwanais. Comment les distinguer ? C’est très simple : les Taiwanais ont le droit de vote (et ils y tiennent) alors que les Chinois ne l’ont pas.
Mo Yan, Prix Nobel de littérature en 2012, mérite-t-il le droit de vote ? Sans doute pas et il n’a pas feint de le réclamer dans son discours de réception du prix Nobel à Stokholm.
Les téléspectateurs français connaissent bien M. Zheng RuoLin, correspondant à Paris du journal shanghaien WenHuiBao. Parfaitement bilingue, très subtil, il est souvent invité sur les plateaux de télévision à analyser l’actualité. Viendrait-il à quiconque l’idée qu’il mérite d’avoir le droit de voter ? Lui en tous cas ne le réclame pas ! Et ses confrères de TV5, qui souvent l’accueillent, se gardent bien de lui demander s’il y pense jamais, car ce n’est pas nécessaire, ni pour lui ni pour le confort des téléspectateurs francophones. Ce n’est pas parce que les “nègres” d’Afrique du Sud ont le droit de vote qu’on doit laisser les Chinois les imiter.
Et même les diplomates chinois en France, sympathiques, diserts, compétents : qui aurait l’idée idiote de leur accorder le droit de vote en Chine ? Certes les immigrants chinois qui ont élevé leurs enfants en France et ont été naturalisés ont désormais le droit de vote, mais en France ! Pas en Chine !
Peugeot a été sauvé d’un désastre financier par la société Chinoise DongFeng qui y dispose donc de sièges d’administrateurs avec droit de vote au conseil, mais ces administrateurs ne réclament pas pour autant le droit d’élire à l’occidentale leurs députés en Chine. Ce sont des capitalistes raisonnables, sans doute anti-libéraux.
Lorsque l’année dernière, il y eut un peu de désordre dans les rues de HongKong au sujet du mode de scrutin pour élire le chef de l’exécutif de la Région spéciale autonome, les «tycoons» locaux, c’est à dire les milliardaires les plus célèbres, furent invités en Chine où le sermon suivant leur fut tenu par un très haut dignitaire communiste : «Rendez-vous compte qu’un système de vote direct donnerait fatalement la majorité aux pauvres ! Imaginez vous HongKong dirigé par des pauvres ! Ressaisissez-vous ! »
Il était temps en effet que la haute direction d’un des derniers régimes communistes au monde (avec la Corée du Nord et Cuba) rappelle avec autorité que le communisme n’est pas pour les pauvres : c’est la dictature sur le prolétariat, et pas la dictature «du» prolétariat.
Qu’est devenu WuErKaiXi, l’effronté en pyjama ? Il est maintenant citoyen de Taiwan, où — tenez vous bien — il bénéficie du droit de vote, et a même le culot de se présenter prochainement à la députation.
Il viendra à Paris le 3 mai pour le trentième anniversaire de «Reporters sans frontières» qui – bien sûr – débattra de Mme Gao Yu et de ses sept années de prison. Un autre célèbre survivant de TianAnMen, Wang Dan, lui, enseigne à Taiwan mais il n’a pas sollicité la nationalité taiwanaise, donc il n’a pas le droit de vote. Ouf !
Imaginez que l’idée vienne à tous les Chinois d’avoir le droit de vote et, pourquoi pas, de cotiser à «Reporters sans frontières». Vous voyez d’ici l’affluence ! Il convient donc d’être réaliste. C’est bien ce que je vais expliquer à WuErKaiXi, quand je le verrai début mai à Paris.
Comme je le connais assez bien, pour avoir déjeuné avec lui plusieurs fois, je le mettrai en garde, s’il veut être interviewé par Elisabeth Lévy dans «Causeur» et s’il veut que je vote pour lui aux prochaines législatives à Taiwan :
«One man One vote», c’est bon pour les “nègres” en Afrique, pour les Français, etc., pas pour les Chinois. S’il persiste à demander que les Chinois aient le droit de vote cela ne pourra que compliquer ses prochaines demandes de visa pour la Chine, alors que toutes les précédentes ont été logiquement rejetées.
Les Taiwanais, certes, bénéficient du droit de vote ! Mais ce n’est pas une raison ! Ce sont des Chinois très particuliers. Mais je ne sais plus très bien quoi dire pour justifier les vrais juges qui ont condamné Mme Gao Yu à sept années de vraie prison.
Laissez moi redemander conseil à M. Swift (Jonathan), j’ai besoin un cours particulier sur «la rédaction d’un blog dans un environnement libéral», dont la Chine ne veut pas, car les valeurs occidentales sont dangereuses et donc justement interdites par le PCC, sauf lorsque ses membres ou ses protégés investissent chez Peugeot, dans les vignobles bordelais, et dans nombre d’autres entreprises françaises.
Je n’ai pas sauvé Peugeot ! Je n’ai pas de quoi investir dans le Médoc. Je suis taiwanaise et j’ai le droit de voter. Au secours !「救命」 !
P.S. L’humour noir dont j’ai usé dans ma chronique (à la manière de Swift) m’oblige in fine à rendre hommage à Gao Yu sans sourire : elle est une excellente journaliste. C’est son principal crime. Au plus chaud de l’affaire Bo XiLai, elle avait gardé la tête froide et donné une analyse équilibrée des forces en présence. Sans doute a-t-elle été l’un des premiers journalistes à comprendre et révéler que Ling JiHua était une taupe de Bo dans le bureau du précédent président de la RPC Hu JinTao, et à expliquer aux journalistes étrangers que Zhou YongKang était le complice et partenaire de Bo. Mais qui oserait aujourd’hui le lui reprocher ? C’est elle aussi qui a révélé que si Xi JinPing était alors absent (ce qui avait fait beaucoup jaser juste avant qu’il assumât le pouvoir) c’est parce qu’il avait reçu en plein dos une chaise qu’un dirigeant envoyait à la figure d’un autre lors d’une réunion houleuse des patrons du régime. Je reviendrai en détail dans une prochaine chronique sur l’affaire Bo XiLai, ce roman policier connu des Taiwanais, mais guère des Français.
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