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Ganges Potemkine

Que penser des annonces du gouvernement sur la rémunération des enseignants, et de son projet d'école "inclusive"?


Ganges Potemkine
Le président Macron visite le collège Louise Michel à Ganges (34), le 20 avril 2023 © PHILIPPE MAGONI/SIPA

Entre demi-vérités et vrai jeu de rôle, par un beau jeudi d’avril, Emmanuel Macron, escorté en silence par Pap Ndiaye, a poursuivi dans l’Hérault sa tentative d’apaisement selon son modus operandi habituel: fausse décontraction de la veste sur l’épaule, éléments de langage et effets d’annonce. Peut-on être convaincu par ses propos sur l’éducation?


Commençons par analyser factuellement le contexte. Sommes-nous vraiment là en milieu rural ? Ganges, à la porte des Cévennes est une ville de 3000 habitants dont la prospérité fut autrefois assurée par l’industrie textile, héritage des filatures de soie d’antan. La concurrence chinoise a, comme chez sa voisine gardoise Le Vigan, détruit ce secteur économique et la petite cité vit aujourd’hui dans la sphère d’influence montpelliéraine. Aux vieilles familles locales sont venus s’ajouter de jeunes cadres et des familles très modestes refoulés là par la flambée des prix de l’immobilier dans la grande métropole distante de 45 kilomètres. Précarité et relatif confort matériel s’y côtoient donc, faisant du lieu une « France périphérique » rurbaine plus qu’un milieu purement rural. Michel Fratissier, maire de Ganges a donc pu, légitimement, évoquer les questions emblématiques des zones géographiques de ce type : fermeture de la maternité, fracture numérique et sécurité. Sans doute par pudeur, cet ancien professeur d’I.U.F.M, que la carrière a pourtant rendu forcément expert sur les difficultés de mises en pratique des consignes de la rue de Grenelle, n’a pas souhaité émettre de doutes sur les annonces pour l’éducation. On  peut cependant comprendre que, lorsque l’on gère une commune où la Macronie, tout à fait par hasard bien sûr, aime à se mettre en scène, l’on ne souhaite contrarier ses hôtes (rappelons la précédente visite en décembre 2021 de Sarah El Haïry à l’école maternelle puis, début 2023, celle annoncée puis annulée de Patricia Mirallès).

Pourtant, des interrogations, il y en a, surtout concernant les niveaux scolaires qui précèdent le collège.

Tout d’abord, l’échec du choc d’attractivité, atteste du fait que l’appréciation du terme « substantiel » diffère du ministère au terrain. Les montants annoncés ne semblent pas de nature à compenser la dégradation des conditions d’exercice du métier. Le gel du point d’indice laisse les plus anciens 20% à 25% en dessous de la rémunération de fin de carrière qu’ils espéraient en entrant dans le métier.

Dégradation continue

Au-delà de cet aspect financier, nombreux sont ceux qui évoquent la perte du sens de leur activité. Depuis Nicolas Sarkozy, tous les gouvernements, de gauche comme de droite, ont contribué à assécher, de façon continue, le flux de transmission des connaissances, principale ambition de tout enseignant. Allègement continu des programmes, suppression de tout livret d’évaluation précis en maternelle au profit de quelques photos des seules réussites, mise en avant du ludique et du sociétal, disparition des R.A.S.E.D.[1], auxiliaires précieux de l’entrée des plus en difficulté dans les disciplines les plus arides, formation continue hors sol… À cela est venue s’ajouter l’ « école inclusive », idée philosophiquement noble ayant accouché d’un monstre, qui conduit les enseignants à s’improviser éducateurs spécialisés, pour des cas de plus en plus lourds, puisque les instituts spécialisés n’accueillent la plupart du temps qu’après six ans, alors que l’âge de l’obligation d’instruction a été ramené à trois ans par Jean-Michel Blanquer.

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A cette dégradation continue, Emmanuel Macron a pris sa part avec l’apparition de pseudos experts, qui ne quittent leur bureau douillet que pour venir réciter des éléments de langage fumeux et proposer de « changer de posture » à des enseignants désespérés de ne plus pouvoir instruire les élèves, occupés qu’ils sont à calmer les crises de tel élève violent ou tel « Enfant à Besoin Educatif Particulier » hurlant sa souffrance d’être si mal pris en charge. Dans un tel contexte, les consignes d’olympiades d’une semaine de Pap Ndiaye, venues s’ajouter à celle de chanter le jour de la rentrée de Jean-Michel Blanquer sont l’ombrelle sur un cocktail explosif.

Les enseignants les plus expérimentés sont les plus mécontents des annonces

Enfin, et cela explique sans doute le choix du collège et non de l’école située juste en face, comme lieu de l’annonce, la part variable liée à des missions supplémentaires semble difficilement accessible aux professeurs des écoles.

Cours de soutien au collège ? Cela ne sera matériellement possible et intéressant financièrement que pour les enseignants proches de l’établissement concerné et hors des horaires de l’école. Il  ne faut pas oublier qu’en école primaire, le temps de présence incompressible devant les élèves est d’au minimum 26 heures : aucune flexibilité dans les plannings possible. Remplacement des collègues ? Les professeurs des écoles assument, depuis toujours, la prise en charge des élèves de leurs collègues absents. Le manque de remplaçants transforme régulièrement une partie des salles de classe en garderie, faisant monter les effectifs à surveiller au-delà de 30 élèves pouvant avoir de trois à 10 ans.  Prise en charge de cours le mercredi ? C’est ce jour là qu’ont lieu les formations, qui, à la différence du secondaire, ne se font que très rarement sur les temps d’enseignement. Il ne restera que les vacances. De nombreux gouvernements ont rêvé de les raccourcir : nous y sommes, et les enseignants, épuisés, écœurés, l’ont bien compris.

À ces réalités-là, Emmanuel Macron ne change donc rien et aucun élément de langage tel que « excellence » n’est de nature à convaincre les professeurs des écoles. Lorsqu’en plus Pap Ndiaye continue, sur Twitter, de ne citer que « les débuts et milieux de carrière », les enseignants les plus expérimentés, ayant passé un concours plus exigeant qu’aujourd’hui, achèvent de désespérer. Ripolinée de frais par les employés de mairie, sécurisée par les chasseurs de casseroles, Ganges n’aura donc été qu’un Neverland de plus où quelques enseignants complices auront contribué à construire un décor d’opérette pour un grand tisonnier venu agiter les braises en prétendant éteindre un incendie.


[1] Réseau d’aides spécialisées aux élèves en difficulté




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est enseignante et ex-directrice d'école.

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