Avec son nouveau brûlot, l’auteur de La France Orange mécanique nous promet le livre le plus anti-démocratique de tous les temps.
La séquence eut un succès fou sur YouTube. C’était en 2013, chez Ruquier ; Laurent Obertone venait défendre son premier livre, La France Orange mécanique, publié aux audacieuses éditions Ring ; il faisait face à Natacha Polony et Aymeric Caron, ce dernier insupportable, bavant de colère rentrée. L’ouvrage, implacable, décrivait la brutalisation de la société française avec un sérieux méthodologique qui épouvantait les militants du CRNS et de l’INSEE déguisés en chercheurs. Obertone était là parce que le livre s’arrachait ; le soviet de France Télé voulait se le farcir, l’humilier et, à travers lui, cette majorité de Français qui s’obstinait à voir ce qu’elle voyait. Comme l’écrivait l’immense Philippe Muray, le décalage entre le réel vécu et sa traduction médiatique peut finir par rendre littéralement fou. Il faut donc déjà rendre grâce à Obertone d’avoir sauvé bien des gens de la folie et, subséquemment, comblé un tant soit peu le trou de la Sécu – creusé par ailleurs par tant d’autres choses.
Obertone, ce soir-là, avait tenu ferme. Surtout, plus impressionnant encore, il ne s’était pas départi de ce calme qui allait devenir sa marque de fabrique – j’en connais un autre qui aurait fait de Caron du petit bois… Outre cette étrange sérénité, on décelait chez lui une détermination qui allait rapidement accoucher d’autres livres qui, malgré le mépris qu’ils inspiraient aux libraires – la pire corporation qui soit, avec ses « Coup de cœur » débiles –, l’imposeraient comme un écrivain attendu dans notre paysage littéraire phagocyté par les journalistes parisiens trentenaires racontant, après un verre de Morgon de trop, leur rupture en contemplant le Sacré-Cœur et des faiseurs inventant des récits calibrés pour Netflix en plaçant leurs personnages fantoches dans une Amérique qu’ils croient connaître parce qu’ils ont échangé trois mots avec les clochards de Venice Beach – « Le mec, i savait tel’ment c’que c’est la vie, t’sais ».
Les Français pas épargnés
Durant les dix années qui nous séparent (presque) déjà de La France Orange mécanique, une question revenait souvent dans la bouche de ceux qui interrogeaient Obertone : « Que faire ? ». Je le soupçonne d’avoir voulu, courageusement, y répondre dans Game Over. Et le moins que l’on puisse dire, c’est qu’il y va franco, avec un style au coupe-coupe et des solutions qui indigneront le parti du mouvement perpétuel – et brusqueront certains de ses lecteurs.
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« Le Français sent bien que rien ne va, mais il est conditionné à ne voir dans ce chaos qu’une seule issue : la mascarade politique ». Partant de ce constat – impuissance, manipulation et couardise –, Obertone brode un « testament antipolitique » en forme de manifeste et de programme. Changement de peuple (« sujet le plus important de ces derniers siècles, le seul qui compte réellement »), économie, ensauvagement, propagande : il analyse avec sa fougue coutumière le paradigme dans lequel les Français, qu’il n’épargne donc pas, sont enfermés depuis une soixantaine d’années. Il le fait violemment, convaincu qu’il est que le sursaut espéré par les patriotes ressemble de plus en plus à une chimère tant ces derniers sont faibles et le système qu’ils affrontent, puissant : « La vérité, c’est que notre peuple, gavé, lassé, craintif, préfère à un traitement de choc l’illusion d’une continuité déprimante, une agonie sédatée, une euthanasie en douceur. Pour l’heure, elle s’appelle Emmanuel Macron. » À en juger par les élections passées et les sondages actuels, on est bien obligé de lui donner raison. La démocratie dite représentative est une création de la bourgeoisie ; elle eut ses mérites, représenta longtemps la volonté de tous dans une large mesure ; ce n’est plus du tout le cas, en particulier en France où l’iniquité des modes de scrutin couplée à la propagande empêchent de fait un pan considérable voire majoritaire de l’électorat d’être effectivement représenté. Les institutions ne sont pas bloquées ; ce sont les institutions qui nous bloquent. La bourgeoisie, comme Christopher Lasch l’a définitivement expliqué, est partie, avec son agenda progressiste, mondialiste, multiculturel, et elle ne reviendra pas. Même l’aristocratie décrite par Taine dans Les Origines de la France contemporaine n’était pas, en 1788, à ce point déconnectée de son peuple.
Obertone, libertarien-conservateur
Alors, que faire si l’élection est « une mascarade » ? Si, comme Obertone le prédit fort justement, même l’improbable victoire d’un Zemmour serait, comme l’a été celle de Trump, combattue via une guérilla juridique de chaque instant, une propagande médiatique encore plus dingue et, dans notre cas, des grèves pilotées par ces fameux corps intermédiaires qui vivent sur cette bête qu’ils tancent comme les association pro-migrants et pro-climat condamnent un Etat qui les subventionnent. A chaque problème, Obertone propose donc des solutions, lesquelles le classent dans une catégorie inconnue sous nos latitudes : celle du libertarien-conservateur. Du libertarianisme, il reprend la réduction de l’Etat à de strictes fonctions régaliennes, la suppression de la plupart des impôts directs et indirects, le culte de la liberté individuelle. Le conservatisme – terme que j’emploie faute de mieux – justifie l’arrêt total de l’immigration africaine, une justice qui punit vraiment, expulse, faite – comme elle n’aurait jamais dû cesser de le faire – pour protéger la société et non pour accompagner les délinquants et les criminels dans leur réinsertion – Marc Dutroux et Guy Georges sont libérables, je le signale –, mais aussi une apologie de notre civilisation, de notre culture, de cet art de vivre à la française qui, bientôt, si nous n’agissons pas vraiment, appartiendra aux livres d’histoire – avant que le wokisme ne les brûle, lui qui a inventé l’autodafé-citoyen.
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Tout ça se tient, et même très bien. Du reste, comme dans son précédent ouvrage, Eloge de la Force, Obertone insiste également sur son lecteur, ce « Jean-réactionnaire » à qui il demande ce qu’il fait, dans toutes les sphères de son existence, pour déchirer sa camisole. On pourra lui rétorquer qu’une nation composée d’individus, ça existe déjà : ça s’appelle la France sous Macron. Le « socialisme » qu’Obertone vitupère à juste titre s’accommode de toute évidence fort bien d’un libéralisme qui voit en l’Etat un pourvoyeur de droits illimités. De notre désastre, de celui de l’Occident tout entier, Adam Smith est autant responsable que Rousseau et Voltaire.
Game Over n’en est pas moins une claque magistrale. Son heureuse radicalité tranche avec la « nuance » habituellement chère aux essayistes de droite ; ici, enfin, pas de « oui, mais », pas de concessions faites au camp du Bien dans l’espoir imbécile de n’en être pas complétement exclu. Obertone est certes suffisamment installé pour ne plus rien concéder ; n’empêche, il en faut, de la témérité, pour s’en prendre aussi vaillamment au système qui nous tue à petit feu – la pire des morts, la plus honteuse, assurément – et à ses propres lecteurs qui, comme moi, seront certainement tout à fois agacés et stimulés par ce livre, le premier des prometteuses éditions Magnus. Ce qui différencie l’art des biens culturels, c’est que du premier, on ne sort pas indemne. Avec Game Over, Obertone prouve une fois de plus qu’il est un artiste, un authentique écrivain.
Game Over, éditions Magnus, 208 pages.
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