Au commencement, pour nous, Gallmeister ce fut Le gang de la clef à molette de Edward Abbey. Un road-movie écologiste, insolent, anarchiste, désespéré, prophétique, amoureux, qui datait de 1975, n’avait connu qu’un très faible succès lors d’une première édition française en 1997 avant de trouver enfin ses lecteurs en 2006. On y voyait se profiler le désenchantement et l’inquiétude devant un système économique qui condamnait la beauté et qui annonçait la fin d’un rapport innocent, whitmanien, à la beauté du monde. Et il faut croire qu’entre 1997 et 2002, en France, on a eu quelques raisons de penser que l’écologie était trop sérieuse pour être réservée aux Verts.
Un peu moins de dix ans après ce grand succès, Gallmeister est donc surtout connu par le lecteur français comme un grand passeur de « nature writing ». Ce genre dit une Amérique perdant ses grands espaces en même temps que ses grandes illusions et se met à les célébrer dans des histoires lyriques et violentes, nostalgiques et somptueuses à la façon d’un Jim Harrison, ce Rousseau qui adorerait le whisky. Ce n’est donc pas dans les romans de cet éditeur que vous trouverez un éloge du gaz de schiste, des panneaux publicitaires au bord des routes et des forages pétroliers qui flinguent un peu plus chaque jour l’Alaska. De manière assez amusante, si l’on veut, les romans Gallmeister mettent le lecteur ultralibéral ou libertarien devant ses contradictions : la nature n’est pas compatible avec le laisser-faire économique et elle n’est la propriété de personne. Et de fait, parce que l’environnement et l’écologie sont désormais explicitement des enjeux politiques, on a souvent flirté dans le catalogue Gallmeister avec le roman noir, ce roman noir qui a toujours été là pour dire les nouveaux désordres, les nouveaux points de contractures dans le grand corps social.
Cela explique certainement en partie pourquoi Gallmeister avec sa collection néonoir lancée au mois de mars, a décidé de jouer avec l’ADN de sa maison. Est-ce l’anniversaire des 70 ans de la Série noire, cette grande soeur fondatrice qui a donné des envies à l’éditeur, mais la collection néo-noir renoue avec les codes originels d’un genre qui a parfois du mal à exister entre le polar ethnographique, le thriller technologique, le whodunit ésotérique, j’en passe et des pires.
Néonoir, pour commencer, a adopté une charte graphique délibérément janséniste et on remerciera la collection de nous épargner ces couvertures flashy qui sont désormais imposées au lecteur de littérature de genre. En plus, néonoir prend le parti du roman noir, ce qui est logique me direz-vous, mais du vrai, du dur, du tatoué. Il n’y aura pas d’eau dans le whisky des cinq premiers titres de la collection qui enchanteront l’amateur parfois frustré malgré l’abondante production éditoriale estampillée polar. Car l’amateur, ce qu’il aime, lui, comme dans les romans de Jake Hinkson, Benjamin Whitmer, S. Craig Zalher ou Matthew Mc Bride proposés ici, c’est de retrouver ce qu’il aimait chez Jim Thompson, Charles Williams voire David Goodis: comment tombent les hommes, comment s’effacent les frontières entre le bien et le mal, comment se passent la vie et la mort des perdants du Rêve Américain, qu’il s’agisse d’un flic du Missouri ou d’un ouvrier licencié. On est dans les zones industrielles, les petites villes étouffantes, les parkings de centres commerciaux.
Bref, retour aux origines. Néonoir, la collection qui se réfère aux fondateurs, mérite pourtant son titre car tout ce qui est vraiment nouveau, on le sait, est en fait très ancien et seule la tradition est révolutionnaire, comme disait Péguy. Ou si vous préférez Amy Winehouse à Péguy, néonoir, c’est « back to black ».
Premiers titres de la collection « néonoir » :
Pike et Cry father de Benjamin Whitmer
Exécutions à Victory de S.Craig Zahler
L’enfer de Church Street de Jake Hinkson
Frank Sinatra dans un mixer de Matthew McBride.
*Photo : Jim Brickett.
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