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Gagner moins pour travailler plus


Gagner moins pour travailler plus

C’est la question à 1000 euros : pourquoi les Allemands réussissent-ils mieux que nous en matière d’emploi ? En effet, après une légère amélioration en octobre, le chômage est de nouveau reparti à la hausse en novembre. Fin 2010, on comptait près de 4 millions de chômeurs en France métropolitaine. Pour le ministre du Travail, Xavier Bertrand, « ce chiffre témoigne de la stabilisation du nombre de demandeurs d’emploi depuis six mois ». Peut-être. Une « stabilisation » bien fragile cependant, car les prévisions de croissance pour 2011 sont revues à la baisse : des 2,5 % annoncés par le gouvernement début 2010, on est passé à 2 % en août selon l’Elysée, niveau que les dernières estimations de Bercy rendent quasiment impossible à atteindre.[access capability= »lire_inedits »]

Or, au moment où ces mauvais chiffres français étaient publiés, ceux de nos voisins teutons mettaient en évidence une nette embellie. Avec 2,9 millions de chômeurs, le marché du travail allemand retrouve ses meilleures performances de 1991, année où les répercussions de l’unification ont commencé à se faire sentir.

Comment font-ils ? La réponse est simple : la stratégie salariale allemande est diamétralement opposée à celle de la France. Depuis 2000, les salariés allemands du privé ont subi une baisse de 4,5 % de leurs rémunérations brutes. Or, en dépit des apparences, au cours de la même période, leurs homologues français ont enregistré une augmentation de 8,6 % (chiffres du Bureau international du travail).

Toutefois, quand on examine de plus près les données allemandes, on se rend compte que les salariés qui bénéficient d’emplois stables ont vu leur revenu moyen croître de 6,7 % au cours des dix dernières années. Tandis que le salaire brut moyen diminuait d’environ 100 euros sur la décennie (il s’élevait à 2 154 euros en 2009), le salaire des CDI augmentait de 200 euros (de 2 752 euros en 2000 à 2 936 euros en 2009).

Autrement dit, le différentiel entre la France et l’Allemagne s’explique par le fait qu’outre-Rhin, les demandeurs d’emploi sont poussés vers le marché du travail, quitte à accepter des emplois très faiblement rémunérés. Ces « chômeurs qui travaillent » se retrouvent néanmoins sur les listes de bénéficiaires des prestations sociales qui, à l’inverse des chiffres du chômage, explosent : presque 7 millions d’allocataires, soit 9 % de la population ! Berlin a donc clairement choisi le maintien de ses citoyens au travail au prix de fortes subventions (l’employeur paye peu car l’Etat reverse à son employé un complément sous forme d’allocation), tandis qu’en France, la politique est au contraire de privilégier le maintien du niveau des salaires plutôt que le taux d’emploi. On peut aussi le formuler plus méchamment : ceux qui ont un boulot sont bien payés… aux dépens de ceux qui l’ont perdu ! Drôle de solidarité.

Ce refus de courir après le niveau de salaires dicté par les pays émergents peut sembler légitime. Sauf qu’en pratique, il a une conséquence fâcheuse : quitter le marché du travail constitue un risque énorme pour l’employé. Du point de vue psychologique, comme au regard des compétences gaspillées – éléments invisibles sur les tableaux Excel – le prix est considérable. Le chômage, notamment pour les plus âgés, est souvent synonyme de fin de la vie active.

Pendant ce temps, nous cherchons à nous rassurer. Malgré son coût du travail élevé, la France reste attractive. La preuve : elle figure depuis des années dans le « top 5 » des pays attirant le plus de capitaux étrangers. Cinq grands patrons dirigeant les activités hexagonales de grandes multinationales viennent ainsi de publier dans Les Echos une tribune « antidécliniste »[1. Thierry Drilhon, vice-président de Corp Worldwide Channels Cisco Systems, Clara Gaymard, présidente de GE France, François Gerin, directeur général adjoint de Siemens SAS, Christian Nibourel, président d’Accenture France et Benelux, Pascal Roché, directeur général de Barclays Bank PLC en France]. Selon eux, notre pays dispose d’atouts certains : « L’exceptionnelle productivité de notre main-d’œuvre, notre excellence scientifique et technologique, notre localisation au cœur d’un grand marché, la qualité de nos infrastructures. » C’est pourquoi, poursuivent-ils, « dans la compétition que se livrent les pays pour attirer les investissements étrangers […] bon an mal an, il émarge dans les trois premières destinations mondiales pour les investissements étrangers, ce qui est le meilleur signe de son attractivité. »

Les effets pervers d’une politique sociale généreuse

L’ennui, c’est que ce constat optimiste n’est que la moitié de la vérité. Si on regarde la liste de pays exportateurs de capitaux, on constate que, là aussi, la France détient la palme. En 2009, elle a ainsi attiré près de 60 milliards de dollars d’investissements étrangers (médaille de bronze), mais, dans le même temps, elle en a exporté un peu moins de 150 milliards ! En 2000, 43 milliards de dollars venus de poches étrangères étaient investis en France… contre plus de 177 milliards investis essentiellement par des entreprises françaises à l’étranger. Et depuis vingt ans, le solde de ces investissements est – sauf années exceptionnelles − largement déficitaire. Bref, si beaucoup d’étrangers (ou du moins leur argent) jugent les entreprises françaises économiquement intéressantes, encore plus de Français choisissent pourtant d’investir sous des cieux plus cléments financièrement.

Le bilan allemand est, quant à lui, moins déficitaire (62 milliards sortis contre à peu près 36 milliards accueillis en 2009) et, sur vingt ans, le solde est même positif : les Allemands, beaucoup plus que les Français, votent avec leur portefeuille et préfèrent « investir allemand », donc créer des emplois chez eux. Quant aux salariés les mieux payés, côté allemand, ils sont plus enclins à modérer leurs prétentions que leurs homologues français. Ainsi, la logique qui a guidé la loi sur les 35 heures (partager la masse salariale entre plus d’employés) semble-t-elle bien marcher en Allemagne.

La conclusion, cruelle, est que la politique sociale française, généreuse et théoriquement orientée par des considérations de justice sociale, crée dans la durée des effets pervers lourds de conséquences, à commencer par un chômage massif et une exclusion croissante du marché du travail. La France n’est pas aussi attractive qu’elle le prétend pour les investisseurs et fait fuir ses propres capitaux. En même temps, l’exemple allemand démontre que ce n’est nullement le dirigisme français qui est en cause – Berlin et les Länder sont autant sinon plus interventionnistes que Paris – mais l’absence d’une politique économique tournée prioritairement vers l’emploi. Bref, l’Etat est peut-être la solution, mais pas comme ça ![/access]

Janvier 2011 · N° 31

Article extrait du Magazine Causeur



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est historien et directeur de la publication de Causeur.

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