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Gaffe à Gégauff !


Gaffe à Gégauff !
Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans <em>Une partie de plaisir,</em> de Claude Chabrol, 1975.
Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans <em>Une partie de plaisir,</em> de Claude Chabrol, 1975.
Paul Gégauff dans les bras de Cécile Vassort, dans Une partie de plaisir, de Claude Chabrol, 1975.

Vous avez, chers Causeurs, encore une fois survécu à deux réveillons. C’est que vous n’êtes pas Paul Gégauff. Lui n’a pas vu la nouvelle année 1984. Et pour cause, dans la nuit du 24 au 25 décembre 1983, alors qu’il réveillonnait avec sa compagne en Norvège, il a dit à celle-ci qui le menaçait d’un couteau cette phrase que tant d’hommes ont eu envie de prononcer : « Tue-moi si tu veux mais arrête de m’emmerder. » Il avait soixante-et-un an, elle en avait vingt-cinq : elle l’a pris au mot et l’a poignardé à trois reprises. Il n’est pas certain que Gégauff, un des plus grands scénaristes français, n’ait pas apprécié cette fin romanesque et sanglante. De toute manière, il n’aurait pas aimé les années 1980. Pas son genre de beauté, à Gégauff, la gauche réformiste, les années fric, la fin du style, la mort du goût.

On réédite aujourd’hui, à l’initiative d’Arnaud Le Guern dans sa collection « Les Inclassables » chez Alphée, Tous mes amis, un des cinq livres de Gégauff, un recueil de nouvelles initialement paru chez Julliard il y a quarante ans. Vous êtes priés d’aller acheter Tous mes amis pour une raison simple : nous aimerions que Le Guern connaisse dans cette heureuse initiative un certain succès et puisse aussi rééditer les précédents. Il s’agit de quatre romans, petits joyaux hussards, parus assez étrangement aux Editions de Minuit dans les années 1950. Au milieu de Nathalie Sarraute, Marguerite Duras et Alain Robbe-Grillet, qui sont quand même à eux trois ce que la littérature française d’après guerre a donné de plus surfait, de plus prétentieux et de plus ennuyeux, Gégauff était là comme un mauvais élève surdoué avec son ironie et sa méfiance de l’adjectif, son goût pour les peaux duveteuses et sa méfiance pour les abstractions qui remplissent les cercueils.

En vous procurant Tous mes amis, vous éviterez ainsi à toute une génération de nouveaux lecteurs de passer leurs après-midi au dessus des caisses des bouquinistes à la recherche fiévreuse de romans aussi mythiques que Les Mauvais plaisants de 1951 ou Une partie de plaisir de 1958 alors qu’ils feraient mieux de rechercher un emploi et de fonder une famille. Ces deux titres d’ailleurs, à eux seuls, résument bien la Gegauff’s touch que vous trouverez dans Tous mes amis. Une façon cynique, drôle, élégante, discrètement désespérée, dégraissée et rapide comme l’Aston-Martin où son ami Roger Nimier s’est tué de parler de l’amour, de la France, de l’argent, des jeunes filles, des voyages. Gégauff avait des passions heureuses et ruineuses : les femmes, les décapotables, l’alcool et la littérature. Au fond, il aurait seulement aimé écrire à la paresseuse mais avec ce genre de vie à vous faire mal voir de votre concierge, il n’y avait qu’une solution pour trouver un peu d’artiche : le cinéma. Alors on fera le scénariste et le dialoguiste pour, excusez du peu, René Clément, Eric Rohmer, Godard et surtout Chabrol. On a oublié à quel point La Nouvelle Vague, derrière ses allures d’avant-garde artistique était en fait réac comme on aime, entre le royco Rohmer et l’anar de droite Chabrol. Cette plasticité amusée devant les idées générales permettra d’ailleurs à Gégauff d’être aussi le scénariste de More, de Barbet Schroeder, le film qui a sans doute le mieux saisi ce que fut l’esprit beatnik, mais aussi d’innommables nanars comme Brigade mondaine.

Il y a chez Gégauff, qui fut avec Audiard et Pascal Jardin l’un des trois scénaristes français les plus prisés, un sens de la formule qui est celui de tout un peuple insolent qui fait jouir la langue avec le même bonheur dans le salon de Madame de Sablé ou les bistrots de Blondin. Un exemple ? Dans Tous mes amis, une des nouvelles, « Des roses à la pelle », raconte comment deux scénaristes en pleine dèche claquent leurs derniers billets dans un somptueux diner chez Lucas Carton. Une jolie jeune fille dîne seule à côté d’eux. Evidemment, ils l’embarquent pour aller en boîte. Et Gégauff de noter alors, sur un rythme très cardinal de Retz : « Ils allèrent, ils dansèrent, ils trouvèrent en Erika une compagne d’un enjouement exquis qui fit dire à Georges :
– Elle est comme elles sont de moins en moins : parfaitement comme il faut. »

Gégauff lui aussi, décidément, est parfaitement comme il faut.

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