L’émission #sansfiltre, proposée et diffusée sur les réseaux sociaux de Gabriel Attal, est une opération de propagande à destination des jeunes. Ce que tout le monde a bien compris. Mais son caractère éthiquement discutable doit être interrogé, alors que le porte-parole du gouvernement entend renouveler l’opération une fois par mois…
Ce 24 février, Monsieur Attal de Couriss, porte parole au prénom d’archange annonciateur, conviait à la Cour, pour son premier streaming vidéo via Youtube et Twitch, des influenceurs. Le casting était calibré pour ratisser large : queer, diversité, gay et face de droïdes experts en teint « glowy » et tutos «je colorie mes sourcils sans dépasser». Les principales parts de marché à séduire étaient là.
Quand le gouvernement veut faire le buzz…
#Sans filtre, la nouvelle émission de Gabriel Attal, nous est présentée comme une opération de transparence branchée à destination des jeunes avec, comme alibi bienpensant, la volonté de rappeler l’importance de chaque geste dans la lutte anti-Covid. Mais s’agit-il vraiment de fraîche spontanéité renouvelant le jeu démocratique ? Le sujet mérite analyse au-delà du buzz de surface qui a brièvement fait frémir les médias en ligne.
L’information diffusée via l’AFP en juillet dernier et reprise par tous les médias donne une première idée de la stratégie sous-jacente. La volonté affichée cet été de «se doter à l’Élysée d’une équipe commando, chargée de fournir des résultats, d’améliorer la lisibilité et le récit de l’action publique et de préparer la campagne de 2022» a conduit au départ de Joseph Zimet et à son remplacement à la tête de la communication, par Clément Leonarduzzi, président de Publicis Consultants, branche Influence du groupe Publicis. Le pedigree de l’homme suffit à comprendre l’objectif.
La conscience écolo d’Enjoy Phoenix
Aujourd’hui, les fruits de cette greffe commencent à mûrir. Emmanuel Macron fait mine de s’improviser instagrameur dans des selfies, tel celui du défi lancé à Mac Fly et Carlito, respectivement 10ème et 12ème dans le classement en nombre d’abonnés des influenceurs français. Gabriel Attal multiplie les « live » allant jusqu’à interagir avec deux jeunes frères youtubeurs Néo et Swan de 16 et neuf ans.
Avant de nous la jouer Pretty woman à l’Élysée, Enjoy Phoenix, en février 2020, gratifiait déjà sa « communauté » d’une « journée dans la peau d’une ministre » en suivant Brune Poirson. Cinquante minutes d’enthousiasme auprès de sa Brune pour nous prouver que ce membre du gouvernement faisait beaucoup sans que nous le sachions, la preuve en étant qu’à peine 48 heures après qu’Enjoy Phoenix ait évoqué le problème des couverts en plastiques faussement estampillés « réutilisables », la ministre appelait déjà un fabricant de fourchettes pour lui dire que c’était mal. Elle a également eu les honneurs d’un « live » avec Gabriel Attal. Classée 4ème sur la liste des plus gros influenceurs français, la madone des réseaux est une belle prise pour les communicants de la Macronie et il convient de la rentabiliser.
Une démarche qui interroge
Avec de tels profils via Twitch, Gabriel Attal vient d’ajouter une fenêtre vers des millions d’enfants, d’adolescents et de jeunes adultes déjà approchés par Snapchat, Tik Tok, Instagram et Twitter.
C’est donc une stratégie de conquête du Far West virtuel et sauvage qui est en marche, l’occupation d’un espace numérique ultralibéral où foisonne, sans frontières ni shérif, le meilleur comme le pire. Et c’est précisément cette nature de zone médiatique non régulée qui doit nous interroger quant à l’éthique d’une telle démarche.
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En effet, le propre de cet univers est de starifier des gens normaux, tout en simulant la proximité avec leurs fans par un tutoiement de connivence, un vocabulaire familier et affectueux. Les distances et la hiérarchie s’effacent. De la même façon, une absence de cloisonnement permet à des vidéos de cuisine de côtoyer des contenus violents ou pornographiques, le tout étant aussi accessible à un mineur qu’à un adulte. Enfin, de nombreux contenus sponsorisés y sont travestis en simples informations, les influenceurs n’étant jamais que les hommes sandwiches du XXIème siècle.
Ces ambigüités ont été parfaitement exploitées dans l’exercice de «grooming»[tooltips content= »Le « grooming » est un processus de préparation que les prédateurs utilisent gagner la confiance de l’enfant via internet (écoute, langage amical, techniques de partage de sentiments et de secrets…) »](1)[/tooltips] politique que nous a servi Gabriel Attal dans son émission: absence de cravate, tutoiement, posture corporelle ouverte, éléments de langage rassurants martelés : « le bout du tunnel », « le gouvernement travaille »… Le choix de participants n’étant pas en capacité de mener une réelle analyse politique du sujet lui a permis de dérouler sans contradiction majeure sa rhétorique. Le porte parole du gouvernement a même pu s’offrir le luxe de se tailler un costume de redresseur de torts à peu de frais en proposant de résoudre les cas particuliers que ses intervenants exposaient en guise de contestation de ses affirmations. Effrayant jeu de rôle en univers douteux, bien éloigné d’une innocente rénovation du débat politique par transposition sur un nouveau media.
Et donc tout le monde trouve ça normal?
C’est donc une magnifique opération de propagande, ciblant notamment des enfants qui commence, sans qu’aucun acteur politique ne s’en offusque. En outre, le simple fait qu’elle se déroule dans un espace aux nombreuses zones d’ombre rend la démarche éthiquement douteuse. Une nouvelle fois s’exprime l’ambigu « En même temps » marqueur du quinquennat : pendant qu’un ministre se charge de développer l’éducation aux dangers des réseaux sociaux, le président et le porte-parole du gouvernement en valorisent l’usage et en exploitent les leviers les plus douteux. Tout ce que l’agora compte de défenseurs de la démocratie se doit donc de s’emparer du sujet au plus vite car, si la nature de communication politique de l’opération a bien été identifiée, son caractère éthiquement discutable n’a pas fait objet de débats. L’Histoire nous a pourtant appris que la manipulation des enfants et des adolescents par un pouvoir politique ne se rencontre pas en temps démocratiques.
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