Depuis le commencement de l’Histoire – je veux parler de celle de l’humanité –, l’homme a toujours été faible et la femme supérieure à l’homme dans tous les domaines, sauf un. Elle est plus forte, plus résistante physiquement, plus fine, dotée d’un sixième sens et peut-être d’un septième, mais l’homme conservait un mince avantage : il avait l’esprit d’initiative dans les affaires et s’ingéniait à explorer le monde, à le changer. Jacques Brel l’expliquait ainsi : « Il veut voir ce qu’il y a de l’autre côté de la colline. » Il est en train de perdre cette supériorité.[access capability= »lire_inedits »]
La femme, au contraire – et c’est très visible dans la Bible –, se comporte en garce capable de changer le cours des choses. Judith séduit Holopherne et, pendant le sommeil qui suit son faux abandon, lui tranche la tête ; Jézabel, païenne, exercera une fâcheuse influence sur son mari Achab ; de Dalila, on connaît mieux encore les exploits grâce au film de Cecil B. De Mille (1949) qui la montre fouettant Samson enchaîné tout en lui susurrant des mots passionnés[1. Frontière chinoise (1966), le dernier film de John Ford, est une variation sur Judith et Holopherne.].
Ce sont les archétypes de la vamp, de la femme fatale popularisées par le roman noir et le cinéma : Mrs. Grayle (Claire Trevor) dans Adieu ma jolie (1944), Charlotte Rampling dans Adieu ma belle (1975) et encore Coral Chandler (Lizabeth Scott) dans En marge de l’enquête (1947). Liste non limitative.
Est-il fort ou faible, David Huxley (Cary Grant) dans L’Impossible M. Bébé (1938), quand Susan (Katharine Hepburn) l’habille en femme en prenant prétexte d’un costume taché ? Quand la tante à héritage Elisabeth demande à Susan : « Qui est-ce ? », elle répond : « L’homme que je vais épouser, mais il ne le sait pas encore. » Et Jean (Gabin), dans La Belle équipe (1936), est-il fort quand, à force d’être harcelé par sa maîtresse Gina (Viviane Romance), il lui flanque une baffe et qu’elle sourit en disant : « J’avais peur que tu n’sois pas un homme… » ? Le beau spahi surnommé « Gueule d’amour » (Gabin encore, 1937) chute devant la demi-mondaine Madeleine (Mireille Balin) qu’il tuera. Encore un faible.
L’homme, le vrai, au contraire, protège. Il est l’héritier du seul mouvement viril, à la fois guerrier et spirituel : la chevalerie. C’est l’occasion de rappeler, et j’en suis navré, que le scoutisme et le sport-spectacle sont des dégénérescences de la chevalerie. Sean Thornton (John Wayne) dans L’Homme tranquille (1952), Henri « le Nantais » (Jean Gabin) dans Razzia sur la chnouf (1954) et le fils Cardinaud (dans Le sang à la tête – 1956) sont des exemples d’homme réellement viril.
Thornton, ancien boxeur aux États-Unis, revient dans son Irlande natale. Il épouse Mary Kate Danaher (Maureen O’Hara) mais refuse sa dot, qu’il devrait quémander au beau-frère Red (Victor McLaglen). Mary Kate, vexée, quitte le foyer conjugal. Sean la rattrape à la gare et la ramène au village en la tirant quasiment par les cheveux et la jette aux pieds de Red occupé près d’un alambic. Red donne alors la dot en billets à Mary Kate qui, souriante, la balance au feu. Elle avait peur, elle aussi, que Sean ne soit pas un homme. S’ensuit la plus belle bagarre du cinéma, mais la décrire nous éloignerait de notre exposé.
Dans Le Sang à la tête, d’après Simenon[2. J’ai lu TOUS les Simenon adaptés au cinéma pour Gabin. J’ai toujours préféré les films, plus riches, plus complexes.], Marthe (Monique Mélinand), la jeune femme du fils Cardinaud, le plus puissant patron de pêche de La Rochelle, a un coup de cœur[3. « Rien ne donne une idée de l’infériorité de la femme comme l’aveuglement bête et bas de ses coups de coeur » : Journal des Goncourt – dimanche 2 juin 1872. Oui, c’est sa seule faiblesse.] pour un ancien petit ami et disparaît deux jours. Cardinaud ignore les regards ironiques sur son passage. Il retrouve Marthe, rentre avec elle. « Pour aimer toute sa vie, il suffit pas de prendre une chambre à la journée » (Michel Audiard).
Dans Razzia sur la chnouf, Henri « le Nantais » est en réalité un flic infiltré, chargé de démanteler un trafic de drogue. Pour le compte du milieu, il gère, en apparence, un restaurant. Il devient l’amant de la serveuse, Lisette (Magali Noël), à laquelle il ne confie rien, sauf un numéro de téléphone[4. Qui commence par TUR, de « Turbigo », heureux temps où les numéros avaient une âme.] « au cas où ». Pour mieux la protéger. Je ne radote pas, j’insiste.
Ces histoires sont très parlantes mais datent de l’époque où la société baignait encore dans l’archaïsme paysan – quoique déjà gangrené par la société industrielle. Nous sommes aujourd’hui dans la virtuelle. Les grandes stars ne sont plus des femmes (Hayworth, Monroe, Gardner) mais des unisexes (Depp, Pitt, DiCaprio, etc.). La dévirilisation du cinéma tient à la création d’un système unisexe mondial destiné à gagner plus en ratissant large. Quoi qu’on nous impose en matière de goût, de « culture », jusqu’à l’obligation de défiler avec une plume au derrière, c’est toujours la mondialisation financière qui décide. La preuve de cette dévirilisation, c’est la prolifération des femmes flics. La palme du grotesque revient à Miou-Miou dans… La Femme flic (1980). C’est l’avalanche : films, téléfilms, séries télé. En règle générale – c’est bien de règle qu’il s’agit –, la femme flic est courageuse, capable, habile, expérimentée et l’homme flic est idiot (à l’exception des Afro-Américains aux États-Unis et des flics « issus de la diversité » en France). Elle connaît parfaitement les sports de combat et l’informatique – elle ne peut se passer de son Mac… –, mais est souvent divorcée, avec des gosses à charge. Bref, elle est comme tout le monde, je veux dire, comme un homme jadis.
L’insomnie n’a pas que des inconvénients. Elle permet de découvrir, au milieu de la nuit, des séries jusqu’alors ignorées. J’ai pris un certain plaisir à Femmes de loi, aux épisodes réalisés en 2000 – 2001. Ces deux femmes sont une juge et une flic (j’emploie le féminin au lieu du neutre : pas d’ennuis avec les féministes). Les deux comédiennes sont belles.
Je ne dirai pas celle qui m’a tapé dans l’œil pour ne pas être mufle. Force est de constater que leur vie privée n’est pas à la hauteur de leur réussite sociale. La flic est dotée d’un voisin timide et la juge d’un ex-mari qui voudrait bien y revenir. Deux hommes. Deux hommes incapables. L’un de prendre une femme dans ses bras – ce qu’elle attend – et l’autre de reconquérir la sienne. Si ! Une fois, une nuit sans lendemain… Serait-ce qu’il n’a pas été à la hauteur ? Comme le dit si bien Éric Masson (Frank Villard) dans Le Cave se rebiffe (1961) en se tapotant la clavicule : « Quand une femme a dormi laga[5. Laga = là. Argot des années 1950.], elle s’en souvient. »[/access]
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