Causeur. La Cour Pénale Internationale a émis un mandat d’arrêt contre Benjamin Netanyahou ce jour. Le procureur de la CPI, Karim Khan, avait requis ce mandat d’arrêt il y a six mois. Cette décision était-elle attendue ? Les juges pouvaient-ils attendre encore, ou prendre une autre décision ?
Gilles-William Goldnadel. Concernant la date, elle était forcément incertaine. Elle pouvait intervenir aujourd’hui comme hier comme dans un mois et demi. Mais sur le fond, je ne me suis jamais fait la moindre illusion sur ce que déciderait la Cour internationale. Pas la moindre. Et je peux le dire maintenant: j’avais d’ailleurs été approché par des cercles pro-israéliens pour qu’Avocats sans frontières intervienne. Pas au nom d’Israël, puisqu’Israël ne reconnaît pas la compétence de la Cour internationale, mais comme un « ami de la Cour », comme on dit. Je n’ai jamais voulu le faire, parce que je ne nourrissais aucune illusion et que je ne voulais pas donner, même de manière dérisoire à mon modeste niveau, la moindre légitimité à une Cour dont des États comme Israël ou les États-Unis d’Amérique contestent la compétence.
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Par ailleurs, il y a ce que nous juristes appelons le principe de subsidiarité, c’est-à-dire que quand il s’agit d’un État démocratique, l’État en question peut d’abord lui-même se saisir d’éventuels manquements avant que la Cour puisse elle-même prendre une décision. Ce principe a été évidemment foulé aux pieds, comme je m’y attendais. L’avocat, le juriste, a fini de parler ! Pour le reste, le président israélien Isaac Herzog, qu’on ne peut pas considérer comme un ami politique de Nétanyahou, loin s’en faut, je parle par euphémisme, vient de publier une déclaration que je fais mienne dans laquelle il affirme que c’est un jour noir pour la justice et un jour noir pour le monde. Il explique très bien que cette décision de la CPI fait fi du fait que c’est Israël qui a été agressée dans les conditions que vous savez le 7-Octobre, et que contrairement à tout ce que peut dire la Cour, c’est bien le Hamas le responsable des tragiques morts civils à Gaza, puisque le Hamas utilise cyniquement les civils comme des boucliers humains. Le président israélien rappelle qu’Israël était placée dans une alternative assez diabolique, entre ne rien faire et faire ce qu’elle a dû faire avec les conséquences tragiques que l’on sait. Je considère que cette alternative à deux branches est quand même faussée, parce qu’il eût été encore pire de ne rien faire et de laisser Israël bien évidemment détruite par le Hamas, bien sûr.
À part ça, on sombre dans le comique lorsqu’on voit que la CPI poursuit aussi le même jour M. Deif du Hamas dont tout le monde sait qu’il est six pieds sous terre, donc pour donner l’illusion de l’équanimité… Vous remarquerez d’ailleurs que les grands amis du Hamas, comme Rima Hassan de La France insoumise, ne s’y trompent pas et sablent le champagne. Le drame, c’est que cela va encore accroître le tragique isolement d’Israël et des populations.
Revenons-en à la décision du jour. Juridiquement, qu’implique concrètement la décision prise aujourd’hui par la CPI pour MM. Netanyahou et son ancien ministre de la Défense Galant ? Est-ce qu’en théorie, selon ses engagements internationaux, Israël serait supposé les arrêter et les envoyer à La Haye ?
Mais non ! Israël ne reconnaît pas la compétence de la CPI, donc elle n’a rien à faire. Les conséquences concrètes pour les personnes visées par les mandats d’arrêt sont des conséquences qu’ont connues d’ailleurs pendant un moment certains généraux israéliens dans le passé : elles ne peuvent pas aller dans les pays qui reconnaissent la compétence de la CPI. C’est-à-dire que Nétanyahou pourrait aller demain matin à 9 heures aux États-Unis ! Cela ne poserait aucun problème, même avant Trump d’ailleurs. Mais malgré tout, c’est effectivement un jour très noir pour la justice.
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Juridiquement, y a-t-il des répercussions plus larges sur l’État d’Israël ?
Non. Ce sont les personnes uniquement qui sont visées. Raison pour laquelle j’avais personnellement préconisé il y a quelques mois, notamment pour cette raison-là, que Netanyahou quitte rapidement le pouvoir pour ne pas justement associer son statut à l’État. Je reconnais a posteriori que c’était un raisonnement pratique dont je ne suis pas très fier.
Vous savez, la CPI a à peu près la même impartialité que l’organisation des Nations Unies, c’est à peu près la même chose. Quant à Karim Khan, le procureur, même si la presse française ne s’en est pas particulièrement fait l’écho, il est critiqué pour des tas de choses dont les harcèlements sexuels sont les plus bénignes. Mais cela, cela ne semble pas poser de problème de conscience à qui que ce soit. La réalité est psychologique, elle est politique, voire métaphysique ; et elle est grave, n’allez pas croire que je traite la décision de la CPI par un revers de la main ou par le mépris.
Selon le communiqué, il y aurait des « motifs raisonnables » de croire que Netanyahou porte la « responsabilité pénale » de « crimes contre l’humanité ». Quelle analyse politique faites-vous de ce communiqué ?
Je pense que je viens de vous le dire. Jamais, jamais, jamais, les soldats israéliens n’ont visé les civils en tant que civils. Et d’ailleurs pas seulement pour des raisons humanitaires, c’est aussi parce qu’ils savent bien qu’Israël n’a pas le droit de faire ce que beaucoup de pays font par ailleurs; mais la Cour Internationale s’en fiche puisque d’une certaine manière c’est entériner le droit du Hamas d’utiliser les boucliers civils. C’est aussi cyniquement une question de ratio : lorsque vous êtes en guerre et que vous avez une cible militaire terroriste avec des civils autour, avez-vous le droit de frapper ? Cyniquement parlant, je peux vous dire que les ratios israéliens sont moins importants que ceux qui ont été utilisés par les Alliés – et je ne vous parle même pas des Alliés pendant la Seconde Guerre mondiale bien entendu, mais même par les Français ou par les Américains à Raqqa.