Il fallait oser ! Braver la doxa anti-Fuego, se mettre à dos tous les tenants du bon goût automobile et bousculer les idées préconçues. Antoine Grégoire, auteur prolixe et historien avisé, a relevé ce défi dans La Renault Fuego de mon père aux Editions ETAI. Il fallait un homme sans œillères pour s’attaquer à cet objet roulant non identifié, conspué par les esthètes et moqué par les humoristes. Un homme solide et cultivé, prêt à affronter les foudres du politiquement correct.
Antoine Grégoire, comme tous les authentiques passionnés, aime toutes les voitures sans distinction de marques et de puissance. Sa connaissance livresque ne se limite pas aux belles italiennes cabrées ou aux royales anglaises. Il a déjà écrit de nombreux ouvrages sur les Triumph, les Mercedes ou les utilitaires Citroën et Saviem. Il varie les plaisirs au gré de ses humeurs vagabondes. Il alterne les sujets : « Estafette » et « 300 SL papillon », « Type H » et « Jaguar MKII » chahutant ainsi toutes les hiérarchies et les convenances. L’ostracisme est une vilaine maladie qui range trop souvent les collectionneurs par ordre social. C’est mal connaître la psychologie de l’amateur éclairé qui ne se laisse dicter aucun choix et fuit les évidences. On peut apprécier l’irrésistible ligne d’une Maserati Ghibli et, pour autant, être ému, par le charme populaire d’une 4CV. L’automobiliste amoureux est plein de paradoxes, il s’imagine à la fois, en Maurice Ronet dans « La Piscine » et en Bourvil au volant d’une 2CV. Corniaud ou vieux beau, même combat ! La lutte des classes a encore du chemin à parcourir dans ce bas monde automobile.
La Fuego semblait pourtant une cause perdue. Un sujet trop brûlant. Un de ces mauvais souvenirs du début des années 80 comme les films de Max Pécas, les tubes de Karen Cheryl ou l’arrivée des « Rouges » au gouvernement. Les chars soviétiques n’ont pas défilé sur les Champs-Elysées, la Fuego oui ! Un modèle inclassable aussi étrange que Jean Carmet en smoking et Roger Moore en bleu de travail. « Elle est d’ailleurs » comme le chantait Pierre Bachelet. De quelle planète exactement ? Lorsqu’on sait que son lancement en 1980 a précédé la sortie d’E.T sur les écrans. Le signe annonciateur d’un changement de civilisation. Antoine Grégoire rappelle la genèse de ce grand coupé 4 places, héritier des Caravelle et R15/R17 qui lorgnait du côté de la Porsche 924 tout en empruntant sa structure à la R18. Cette incomprise des parkings ne manquait pourtant pas d’atouts pour réussir son pari industriel : un hayon bulle audacieux, un bel agrément de conduite, des motorisations Turbo et Turbo diesel ainsi qu’une allure sportive. Son objectif commercial : équiper les classes moyennes d’une voiture différente et s’émanciper de l’hégémonique berline tricorps. Bien sûr, elle manquait de punch pour rivaliser avec les productions d’outre-Rhin et le losange n’avait pas l’éclat de l’étoile.
Mais qui a tué la Fuego ? La faute aux mauvais coucheurs, aux râleurs qui oublient que Renault avec le compagnonnage notamment de Matra, a souvent fait figure de visionnaire. Les précurseurs Rancho, Bagheera et autres Espace prouvent qu’en France, on n’a pas de pétrole mais des idées. Si la Fuego n’a pas rencontré un immense succès chez nous, elle a découvert son eldorado en Amérique du Sud. Audiard avait raison d’écrire que « L’homme de la Pampa, parfois rude, reste toujours courtois » surtout avec cette voiture « française ». Construite entre 1982 et 1992 en Argentine, la Fuego connut plusieurs évolutions et s’illustra en compétition. Délaissée dans l’hexagone, elle assura une « Reconquista » flamboyante sous l’Equateur. Trente ans après, en pleine mode vintage, la Fuego fait un retour en force chez les hipsters et autres gauchos à barbiche des villes. Elle n’a pas dit son dernier mot. Alors, Don’t Cry for Me Argentina !
La Renault Fuego de mon père de Antoine Grégoire – Editions ETAI.
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