Dans l’entretien qu’il accordait la semaine dernière à L’Obs, Serge Klarsfeld ne cachait pas son inquiétude et elle ne manquait pas d’interpeller. En gros, plutôt que de revoir les Panzer aux portes de Paris, il se disait prêt à quitter la France en cas de victoire du FN en 2017. Rien que ça. On se souvient qu’à l’arrivée de la gauche au pouvoir en 1981, certains esprits, tout aussi perspicaces, mettaient leur fortune à l’abri de la peste rouge. Plus récemment, c’est Yannick Noah qui nous promettait : « si Sarko passe, j’me casse ». Et on attend toujours. Quand le verdict des urnes déçoit, certains ne se refusent aucune exagération. À défaut de pouvoir contester le jeu démocratique, et forts de toutes les tribunes qui soient, tous les cœurs généreux de ce genre se sentent en devoir d’agiter le spectre du totalitarisme. Il y a là matière à s’interroger sur le sérieux du régime politique que l’on prétend défendre, notamment lorsque certains électeurs sont pris ouvertement pour des cons.
Le verdict est tombé ce week-end : le FN n’obtient en définitive aucun département. Très peu de Gauleiters ont été élus, aucun pas de l’oie à déplorer dans nos rues et pas la moindre ratonnade en représailles. Beaucoup de bruit pour rien. Autant dire qu’il ne s’est rien passé mis à part l’alternance coutumière entre PS et UMP. Le parti bleu Marine va continuer de jouer les victimes, les pleureuses socialistes vont rappliquer et les VRP de l’UMP vont bomber le torse ; tout le monde tiendra le rôle qui lui est dévolu. Et dans quelque temps, rebelote : « tous aux urnes ! » nous dira-t-on, quand aura sonné l’heure pour le PS de retourner à la gamelle.
Il y a malgré tout, et officiellement, un nouveau venu : le ninisme. Le ninisme consiste à assurer de la main gauche que l’on est un républicain bon teint, tout en faisant comprendre de la droite qu’un petit resto avec les cadres d’extrême droite n’est pas à exclure. Topologiquement, les ninistes sont donc des gens classés à droite. La gauche, elle ne joue pas les bégueules lorsqu’il s’agit de son extrême à elle. Il faut dire qu’elle a beaucoup moins de scrupules à avoir puisque l’idée de communisme n’est plus, comme disait Michel, qu’un corps-mort pour des cormorans. À noter que Madame Arlette Laguiller demeure tout de même la plus célèbre niniste de gauche, parce que la seule. En 2002, en effet, elle avait refusé d’appeler à voter pour « Supermenteur » au deuxième tour de l’élection présidentielle. Honte à elle, et on l’a conchiée. Oui, parce que les anti-ninistes – qui sont aux ninistes ce que la moule est à la frite – ne sont pas là pour rigoler. Il y a, dans ce pays, un mal brunâtre qu’il faut à toute force combattre. Et alimenter, accessoirement, sans quoi l’on perd sa raison d’être dans le repos des effets de manche. Grâce à leur grand cœur, les anti-ninistes ont la mainmise en matière de morale. À telle enseigne qu’on en trouve sur l’aile gauche de la droite. Rassurez-vous, tout ce petit monde se retrouve néanmoins autour de l’idée brumeuse de « république », devenue ambigüe, surtout depuis que notre Premier ministre n’a plus que ce terme à la bouche pour ostraciser tous les gens qu’il exècre (pour être poli). Et la démocratie dans tout ça ? Elle ne fait pas le poids…
Dans « démocratie » il y a l’idée de peuple. Il est donc escompté de la part des partis en lice un échantillon minimal de ce « peuple » introuvable dont tout le monde se targue pourtant. Or, le seul parti à mobiliser de « vraies gens » est précisément celui que l’on veut hors du cadre républicain. Le FN a tellement de mal à amener à lui des énarques ou autres oiseaux rares ayant tété le lait du prêt-à-penser de la République des copains qu’il en est à recruter le vulgum pecus, celui qui parle avec l’accent du coin (qui n’est pas toujours chantant), s’époumone devant sa télé en regardant The Voice et dit sans ambages « y’en a marre des négros » sur sa page Facebook. ENA contre café du commerce, un partout. Et les abonnés du « Front républicain » de s’en émouvoir, tandis que Madame Le Pen assure qu’elle fait le ménage et que son parti est le seul à lutter contre ses propres démons. Ce n’est pas faux, mais un plouc qui « dérape » est toujours plus facile à virer qu’un politicien véreux.
Sont reprochés par-dessous tout au FN son populisme et l’amateurisme de ses cadres à vocation nationale. C’est oublier un peu vite que la démocratie est à l’origine un régime d’amateurs, de gens extraits de leur quotidien, requis pour une charge publique temporaire, puis conviés à retourner à leurs affaires sans espoir de profit ni de carrière. Nous sommes là très loin de la logique des fronts (national comme républicain) et de leurs professionnels de l’invective et de l’indignation de commande. Le mercenariat n’est démocratique qu’à défaut de mieux. Le label « vraies gens dedans » devrait être le seul garant de la démocratie en dépit de tout ce que le bon peuple peut véhiculer de choses peu bonnes à dire chez Ruquier ou Pujadas. Étant donné que l’idée de démocratie implique celle de la représentativité la plus étendue possible, il est par ailleurs attendu que les charges et les chambres soient soumises au régime proportionnel, ce qui n’est bien sûr pas le cas en France. Tout se joue comme si l’on nous donnait l’illusion de la démocratie par la pluralité des tendances politiques, tout en se prémunissant contre le « pire » par l’alternance de deux formations politiques interchangeables au logo près. En d’autres termes, on dédie un premier tour au folklore « démocratique », puis un second au sérieux « républicain ». Tout ceci explique les déconvenues du FN, les sarcasmes de NKM, la pérennité de l’UMPS. Et le ras-le-bol populaire.
Accoutumés que nous avons été à ranger la démocratie dans le camp du bien, il nous vient difficilement à l’idée qu’elle puisse être porteuse des pires excès. Or le régime démocratique n’est en soi ni bon ni mauvais, c’est un simple outil politique. La classe politique, elle, le sait pertinemment sous ses dehors lyriques, et à présent qu’un troisième larron, promu par ce qui reste de chimères démocratiques dans ce pays, vient déranger les deux rombières dans leur petit jeu de l’alternance, la chasse aux « populistes » est ouverte. On fait jouer contre eux la généreuse « république », on plastronne, on condamne les suppôts du mal. La mécanique est bien huilée, les institutions s’y prêtent à merveille. Gare cependant à ce que les péquenauds ne finissent pas par se lasser d’élections qui ne mènent à rien et à opter pour la manière forte, emmenés par l’un de ces « populistes » qui aura su le leur expliquer.
*Photo : Michel Spingler/AP/SIPA. AP21713973_000029.
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