« Ah ! Ce ni-ni de l’UMP ! Ce n’est pas du temps de Chirac et Juppé qu’on aurait vu ça ! » Voilà l’antienne qu’on répète sans cesse de rédaction en studio, et de Twitter en plateau de télé. Et pourtant, il ne s’agit là que d’une calembredaine. Car ce « ni PS ni FN » que l’UMP érige en règle n’est pas une nouveauté. Chirac et Juppé ne peuvent pas désapprouver cette stratégie puisqu’ils en sont les concepteurs.
Il se trouve que je suis un témoin privilégié de cette vieille histoire, adhérent au RPR de 1988 à 1998, notamment pendant la période où Jacques Chirac et Alain Juppé dirigeaient le RPR, l’un à sa présidence et l’autre au secrétariat général (1988-1995). Lors des deux premières années de mandat à l’Elysée du premier, le second cumula la fonction de Premier ministre avec la direction du premier parti de la majorité (avec le succès que l’on sait, soit dit en passant…). Pendant ces années la règle, intangible, était de renvoyer dos à dos gauche et FN en cas de second tour. De désistement au nom d’un front républicain, il ne fut jamais question. Je m’en souviens car, jeune militant, je le regrettais et je m’en étais même étonné un soir de comité départemental alors que la consigne était de ne pas choisir entre un candidat du MDC (le parti de Jean-Pierre Chevènement) et un candidat lepéniste. Alors que mes accointances séguinistes s’accompagnaient déjà d’une admiration pour le Che, j’enrageais que le mouvement gaulliste ne fasse pas un choix authentiquement républicain. Peine perdue. Et on ne plaisantait pas avec cette règle, à l’époque. Passe encore de se faire engueuler dans l’entre-soi d’un comité départemental. Le clamer à l’extérieur aurait été beaucoup plus dangereux. Alain Juppé, ce sage, qu’on pare aujourd’hui des atours d’un gaullisme orthodoxe (j’en ris encore !) ne plaisantait pas avec la règle. En juin 1990, Alain Carignon en fit les frais. Chef du courant VIE au côté de Michel Noir, il appela à voter socialiste à l’occasion du second tour d’une cantonale partielle à Villeurbanne. Comme le montre une vidéo de l’INA, il fit alors l’objet d’une procédure d’exclusion lancée par le maire actuel de Bordeaux. Ecoutez bien son propos sur la vidéo en question. Ils rappellent presque au mot près ceux utilisés par Copé et Guillaume Peltier, lesquels leur valent une volée d’indignation.
C’est à l’occasion des régionales de 1998, alors que Philippe Séguin avait succédé à Juppé à la présidence du RPR, que ce principe a subi quelques remous. Six présidents de région UDF (avec des colistiers RPR) ayant accepté de se faire élire avec les voix des conseillers régionaux FN, Jacques Chirac condamna et les six fauteurs de trouble démissionnèrent les uns après les autres. Mais il était alors seulement question de ne pas être l’otage du FN, jamais de créer un front anti-frontiste. C’est dans ma Franche-Comté natale qu’on vit en revanche une amorce de front républicain. Gauche et droite ayant le même nombre de conseillers, un accord fut scellé entre Jean-François Humbert (RPR-UDF) et Pierre Moscovici (PS). Les socialistes acceptèrent de laisser Humbert à la présidence en échange de moyens substantiels accordés à l’opposition régionale. Là encore, on peut juste parler d’un accord technique destiné à éviter de confier la présidence au doyen d’âge issu de la droite. Cet accord, peu médiatisé au niveau national, fut imité quelques mois plus tard en Rhône-Alpes, sous le regard de plus nombreux projecteurs, avec l’élection d’Anne-Marie Comparini (UDF), beaucoup plus prompte qu’Humbert à accepter le soutien socialiste. Philippe Séguin et Nicolas Sarkozy firent tout pour l’empêcher, préférant la solution du doyen d’âge, mais Lyon tint bon. Ces accords techniques réalisés dans le cadre d’une assemblée régionale constituent des exemples bien marginaux et ne peuvent, à l’évidence, pas être considérés comme des « fronts républicains » au sens où on l’entend aujourd’hui, d’autant qu’ils bénéficient à chaque fois à la droite et qu’on ne peut absolument pas préjuger que le RPR et l’UDF auraient accordé la réciproque si le doyen d’âge avait été socialiste.
Quatre ans plus tard, à l’occasion de la présidentielle, c’est encore Jacques Chirac qui va bénéficier de l’appui du PS et de tout le reste de la gauche au second tour. Ce n’est pas nouveau : la gauche appelait déjà à voter contre l’extrême droite avant 2002, même consciente que c’était unilatéral. Chirac, malin, joue le rôle de « Père de la Nation contre l’extrême droite » après avoir fait une campagne de premier tour axée sur le thème de l’insécurité que n’aurait pas reniée le Sarko buissonnien. Et il efface d’un coup toutes les années 90 où il avait imposé le ni-ni. Très fort. Au cours des années suivantes, aucune occasion ne lui sera donnée de renvoyer l’ascenseur puisque le FN, affaibli localement, ne sera jamais en position d’obliger la nouvelle UMP à se positionner. L’aurait-il renvoyé ? Le doute est permis.
Ce n’est qu’en 2011, lors des élections cantonales, que la question se pose à nouveau. Sarkozy à l’Elysée et Copé au secrétariat général de l’UMP choisissent de faire ce qu’ils ont toujours fait, et qu’ils ont appris de Chirac et Juppé : ni FN ni PS au deuxième tour. Et la presse moutonnière de dénoncer un revirement qui n’existe pas. Cette presse sera d’autant plus injuste que Copé s’avère plus coulant que ses devanciers. Alors que Juppé avait démis Carignon, le secrétaire général de l’UMP n’exclut ni Valérie Pécresse ni NKM qui appellent publiquement à voter PS dans ce cas. Le « front républicain » n’est pas mort en 2011. Pour la bonne et simple raison qu’il n’a jamais existé dans l’histoire de la droite française, de Chirac à Copé en passant par Sarkozy et Juppé. Le RPR, puis l’UMP n’ont jamais appelé à voter pour la gauche au second tour. Jamais ! Ces partis savaient en revanche très bien profiter des appels de la gauche à voter pour eux en cette circonstance. Qu’à Béziers ou à Cavaillon, certains élus socialistes commencent à ignorer les appels au suicide lancés par Solférino, voilà où est le véritable tournant !
*Photo : WITT/SIPA .00371919_000020.
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