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Fromage, dessert et champagne !


Fromage, dessert et champagne !
Si Mao avait bossé comme ça, personne ne saurait situer la Chine sur une carte.
Martine Aubry
Si Mao avait bossé comme ça, personne ne saurait situer la Chine sur une carte.

Qu’il s’agisse de purger la question des alliances, d’aller aux primaires ou, tout bêtement, de se frotter avec Nicolas Sarkozy, il est une question sur laquelle les ténors socialistes et leurs collègues des autres gauches sont d’une discrétion regrettable : celle du programme.

Ce flou est devenu une tradition à gauche, calamiteuse, mais très explicable : notre gauche trimballe un lourd passif en termes de promesses enterrées. Des reniements que l’électorat de droite – plus traditionnellement porté sur les hommes que sur les idées – pardonne, dit-on, plus facilement que celui de gauche. Sauf que les choses ont changé. Chirac a pensé pouvoir enterrer en fanfare et sans casse la « fracture sociale », trois mois à peine après avoir été élu en 1995 : deux ans après, Jospin arrivait à Matignon. De même, à la dernière présidentielle, Sarkozy s’est arc-bouté sur des propositions concrètes et chiffrées – fût-ce au prix d’une certaine intrépidité arithmétique –, alors qu’en face Ségolène n’avait pas d’opinion tranchée en matière, par exemple, d’augmentation du SMIC. Devinez qui a gagné ?

[access capability= »lire_inedits »]L’autre raison pour laquelle la gauche se défie des programmes, c’est sa peur panique du fil conducteur qui les structure nécessairement. Car ce fil ne peut être qu’idéologique et, d’idéologie, la gauche ne veut plus jamais en entendre parler. Là encore, on a échangé nos cavalières, et on se retrouve à front renversé vis-à-vis de la néodroite sarkozienne, qui a su opérer un mix convaincant de « Nouvelle frontière » kennedyste et de bonne vieille social-démocratie. Au bout du compte, tout cela est vide de sens (comme l’étaient d’ailleurs les deux modèles de départ), mais au moins, ça ressemble vaguement à une ligne d’horizon. Mais, ça a marché, parce que la gauche n’avait même pas le début du commencement d’un projet concurrent à mettre en en face.

Car l’électeur perçoit – ne serait-ce qu’instinctivement – et condamne cette absence de projet de société. Une absence qui, comme celle du programme, s’explique aisément au vu du passé. Du communisme de caserne au socialisme en placoplâtre, en passant par la désopilante « économie sociale de marché », le bilan, comme dirait l’autre, est globalement à enfouir dans sa poche, sous son mouchoir plein de larmes, de sang et autres sécrétions organiques encore plus dégoûtantes.

N’empêche, on a beau avoir remisé ses illusions au placard, l’absence d’une grille de lecture du monde mène à la catastrophe, et ne peut en aucun cas être palliée par l’antisarkozysme vociférant et vide de sens ni par un patchwork de vœux pieux. On a vu quels résultats donnait la combinaison de ces fausses bonnes idées aux dernières élections européennes. Rassurez-vous, on peut encore descendre plus bas. Après l’élection présidentielle de 1981 (15 % pour Georges Marchais), le PCF pensait avoir atteint son étiage, et donc ne changea rien à rien (ni rien ni personne, pour être plus précis) en attendant des jours meilleurs. Chacun connaît la suite. Pour dire les choses, cette histoire triste, on la connaît aussi par cœur au PS, mais on croit que ça n’arrive qu’aux autres.

Mais cessons-là l’antisolférinisme primaire ! Car la dernière raison qui maintient la gauche intelligente à l’écart des idéologies et donc des programmes structurés, est en revanche louable. Elle tient à la complexité du réel, à l’infinie variété de ses perceptions par l’opinion, y compris celle qui vote PS, PC ou Verts les yeux fermés, et pour être encore plus clair, par l’impossibilité cardinale de répondre simplement mais honnêtement à une question simple mais honnête : « C’est quoi être de gauche aujourd’hui ? » C’est cet écueil qu’il faut, au choix, contourner, baliser ou dynamiter. Tout, mais pas l’échouage à la con pour cause de navigation à l’aveuglette.

Ils sont gentils, Aimée et Marc, mais quand ils disent ça, ils disent rien, ou pire, pas assez. Donc, on précise : l’idée, c’est de retisser de l’idéologique non pas à partir de rien (Derrida, Foucault) ou de n’importe quoi (Bourdieu, Onfray), mais du réel, et aggravons notre cas, du réel tel qu’il est perçu par le peuple, lequel est, pour ne rien arranger, traversé par des contradictions qui, hélas, ne sont pas toutes secondaires. Des contradictions qui opposent par exemple ceux qui vivent essentiellement de l’assistanat et leurs voisins qui bossent pour le SMIC. Ou qui opposent les dégraissables aux fonctionnaires. Ou ceux pour qui les 35 heures ont été trop cool et ceux pour qui elles sont un bagne. Ceux qui se sentent agressés par la vidéosurveillance et ceux qui voudraient douze caméras dans leur escalier d’HLM. Continuons à faire l’autruche sur ces contradictions, et la droite est au pouvoir pour mille ans.

Pour dire les choses plus simplement (quoique…), il s’agit pour la gauche d’être aussi marxiste et freudienne – dans le surf décisif sur l’articulation vécu-rêvé des classes populaires – que Nicolas Sarkozy quand il lance son ravageur « travailler plus pour gagner plus ». Une fois cette bataille gagnée faute d’adversaire, il pourra tranquillement dérouler son « je serai le président de la feuille de paye » et autres menteries désormais crédibilisées.

Reste donc à définir ce que pourraient être le prisme puis la feuille de route d’une gauche décomplexée. Manque de bol, là, ça se complique encore. Trop facile d’être droit dans ses bottes, d’avoir raison sur tout et contre tous, électeurs compris, qu’ils aillent se faire foutre s’ils n’ont pas saisi les enjeux. On sait de quoi on parle, on a essayé avec Chevènement. On va droit dans le mur en cherchant à établir le programme social, national et républicain idéal, exempt de toute compromission, de toute démagogie car, ce faisant, on fait l’impasse sur l’état de délabrement idéologique profond de la gauche. Le « tout, tout de suite » n’est pas de ce monde. Si Mao avait bossé comme ça, personne ne saurait situer la Chine sur une carte, et si Robespierre nous avait écoutés, il serait mort avec sa tête sur les épaules. Grâce à Freud encore, ou à de Gaulle si vous préférez, il est établi que tout grand dessein, pour dire les choses poliment, ne peut prendre corps que s’il est validé intimement par l’homme tel qu’il est vraiment, y compris dans sa petitesse, c’est-à-dire par l’homme qui répond au sondeur de la Sofres qu’il veut plus d’émissions culturelles en prime time puis se rue sur « Secret Story ».

En vrai, on n’a pas le choix : ou bien la gauche attend la parousie laïque, l’irruption de l’Homme idéal sur Terre, ou bien elle invente son « travailler plus pour gagner plus » à elle, et tant qu’à faire, les suggestions d’accompagnement qui vont avec.

Au boulot ![/access]

Septembre 2009 · N°15

Article extrait du Magazine Causeur



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Aimée Joubert est journaliste. Marc Cohen est membre de la rédaction de Causeur.

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