Une étrange commisération silencieuse entoure Frigide Barjot. On peut lire ici ou là qu’elle a été fantastique, que sans elle les millions de Français de la Manif pour tous ne se seraient pas levés, n’auraient pas pris conscience de leur nombre et de leur force dans la défense des enjeux majeurs de la civilisation que sont le mariage et la filiation. On évoque fugitivement son « ludisme fédérateur », son exubérance, son extravagance, son attraction médiatique. C’était hier, on daigne s’en souvenir encore, mais enfin elle a fait son temps, on ne peut pas toujours s’amuser. On la salue au détour d’un paragraphe, on lui accorde respect et reconnaissance pour le bien qu’elle a fait, comme si elle avait disparu. Mais elle n’a pas disparu. Elle est là, par terre. On fait semblant de ne pas s’en apercevoir, on dit : « tiens, c’est curieux, on ne la voit plus, elle a pris ses distances ». On ne l’invite pas mais si on la croise on pourra toujours se fendre d’un « Ma chérie, quel dommage que tu n’aies pas pu venir hier à ma soirée ! ». Elle a des choses à dire mais plus personne pour les entendre, ne serait-ce pour en débattre et les critiquer. Un programme d’action, mais tous les réseaux coupés. Une action en justice pèse sur elle et son mari, Basile de Koch, qui pourrait leur valoir l’expulsion de leur logement. L’avocat de la partie adverse a reconnu lui-même le caractère politique, en disant que la « médiatisation » de Frigide Barjot avait fait sortir le dossier. Mais nul n’en dit mot.
À son passage, les croquantes et les croquants ferment leurs volets. Peut-être riraient-ils de la voir emmenée – mais sous cape. L’ostracisme des gens bien élevés est insaisissable, tout de discrète ironie, de mépris soyeux. Il évite les insultes, les huées, les grossiers revirements des foules. Pourtant, c’est du même ordre. On se retourne comme un seul homme contre une seule femme. Ou on se détourne, ce qui en est le synonyme poli.
Est-il possible que dans cette unanimité suspecte comme seules savent l’être les unanimités, pas une voix ne s’élève, pas une main ne se tende ? Pas un Henry Fonda à l’horizon ? Pas un gentilhomme ? Pas un frère ? Pas même un trublion bohème juste agacé que tout le monde soit du même avis ?
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !