Accueil Édition Abonné Avril 2020 « Le Juif incarne tout ce que les Goncourt abhorrent »

« Le Juif incarne tout ce que les Goncourt abhorrent »

La philanthropie des misanthropes


« Le Juif incarne tout ce que les Goncourt abhorrent »
Les frères Goncourt photographiés par Nadar, vers 1855. © Bianchetti/ Leemage

À 28 ans, Pierre Ménard signe Les infréquentables frères Goncourt. Cette belle biographie croisée d’Edmond et Jules de Goncourt retrace le destin méconnu de ces deux grands réactionnaires du xixe siècle restés célèbres pour les saillies de leur Journal et le prix littéraire qui porte leur nom.


Pierre Ménard est écrivain. À 28 ans, il publie son quatrième ouvrage, Les Infréquentables Frères Goncourt (Tallandier, 2020).

Causeur. Après avoir écrit la biographie d’Antoine Crozat, financier devenu milliardaire sous Louis XIV, pourquoi vous être intéressé aux frères Goncourt ?

Pierre Ménard. Le fait que le nom des Goncourt soit connu, mais que seules quelques personnes sachent ce qui se cachait derrière a piqué ma curiosité. C’est par leur Journal que je suis entré dans leur univers. Dans la lignée de Saint-Simon, ces deux chroniqueurs acérés ont croqué sans complaisance le Paris des arts, avec pour toile de fond une France en pleine mutation.

De quel milieu social sont issus Edmond (1822-1896) et Jules (1830-1870) de Goncourt ?

Bien que les journalistes aient souvent fait d’eux à la fin du XIXe siècle de grands seigneurs lorrains, les Goncourt sont issus d’un milieu plus modeste, à la frontière entre la bourgeoisie de province et la petite noblesse. Leur nom vient d’ailleurs de l’achat de la terre de Goncourt par leur bisaïeul, deux ans à peine avant le début de la Révolution. Au XVIIe siècle, leurs ancêtres étaient fermiers, puis juristes. Leur arbre généalogique les apparente donc à un échantillon varié de la société, allant de ministres de Louis XVI à des notables lorrains. Leur grand-père paternel a été assez proche des jacobins sous la Révolution avant de s’ériger en défenseur du trône et de l’autel. Quant à leur père, c’est un héros de l’Empire qui s’est battu avec grand courage sur les champs de bataille et vit dans le culte de l’épopée napoléonienne. Relativement aisés avec 150 hectares de terres, ils pourront se consacrer à l’écriture sans avoir besoin de travailler.

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Avec un héritage familial aussi hétéroclite, pourquoi passent-ils pour de fieffés réactionnaires ?

Les frères de Goncourt se sont construit cette réputation au fil de leurs œuvres. Grands amoureux du XVIIIe siècle, détruit à jamais par la Révolution, ils entendent ressusciter cette époque et tendent au fil du temps à s’identifier à des survivants de ces temps révolus. Un de leurs éditeurs raconte même qu’Edmond porte une écharpe blanche, comme pour masquer la cicatrice que lui aurait laissée la guillotine !

Dans leur Journal, les Goncourt ne se contentent pas de vomir la Révolution. S’ils se complaisent dans le rejet de la plèbe, est-ce une réaction sincère au socialisme naissant ou une posture d’esthète ?

Un peu des deux. Ils sont fiers de leur supériorité sociale et ont sincèrement peur de la foule. Certaines de leurs pages sont très


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Avril 2020 - Causeur #78

Article extrait du Magazine Causeur




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est journaliste.

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