Le livre de frère François Cassingena-Tréverdy, Paysan de Dieu, est une parenthèse pastorale et hivernale humble, riche des savoirs de cet homme de foi. Culture, culte et nature s’y retrouvent, dans une délicate harmonie…
La colline s’est transformée en meringue glacée. Le feu dans la cheminée peine à réchauffer la pièce où j’écris ce dernier texte de l’année 2024. Il y a toujours un pincement au cœur à se trouver face au basculement dans l’inconnu imposé par le calendrier. J’écoute le « Dixit Dominus », de Haendel et cela convient au livre de frère François Cassingena-Tréverdy, Paysan de Dieu. Après des décennies de vie monacale en abbayes bénédictines, il s’est retiré au cœur de l’Auvergne. Il nous offre un magnifique journal de bord rythmé à la fois par le temps profane des tâches liées à la terre et le temps liturgique qui nourrit l’esprit par ses rites et ses chants. C’est écrit dans une langue précise et pure ; les citations, souvent latines, confèrent au récit un caractère sacré, très éloigné de l’érudition professorale asphyxiante. Ici, tout n’est que dépouillement et émotion dans la restitution de la vie rustique, âpre et taiseuse, mais ô combien authentique. Ce moine bénédictin, aujourd’hui prêtre sur les hautes terres du Cézallier dans le Cantal, est normalien, Docteur en théologie, spécialiste de la tradition liturgique, traducteur de Virgile. Dans le village de Sainte-Anastasie – un nom qui signifie « résurrection » – il mène une vie solitaire de paysan. Il trait les vaches sans se boucher le nez en entrant dans l’étable. Il évoque l’odeur de bouse « agressive et attachante ». Il ajoute : « Ici, c’est à cette odeur-là que l’on se flaire, que l’on s’estime, que l’on se reconnaît du même monde et du même ordre sur l’échelle professionnelle et sociale. » Il dit encore : « J’ai fait profession solennelle de commis. »
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Dans son humble demeure, il écoute de la musique à la gloire de Dieu, de la Passion et des saints. Assis, mains jointes, la casquette posée sur la table, il prie. Dans l’oratoire qu’il a aménagé à l’étage, il lit encore et toujours les Écritures, les Pensées de Pascal, Le Cœur de la Matière de Teilhard de Chardin, les Géorgiques de Virgile. Et puis, soudain, Audition de Bach, Cantate 103. Bien sûr, il ne possède pas la télévision. Que d’heures gagnées sur la société du spectacle. À la manière de Rousseau, il herborise. Son érudition étonne (page 92). Il consigne le changement des saisons. « Ô la sécurité que procure l’hiver ! », s’écrit-il. Ou encore : « Ce matin, sur la neige qui lentement se sublime, les pas des passereaux ont marqué des étoiles : du regard, la pâture aujourd’hui sera le minuscule. » L’étoffe du temps, il ne cesse de la caresser. L’été surgit alors : « Soir de juin, tout proche du solstice – La lumière s’avance, la lumière s’attarde aux confins de son domaine et semble s’y encalminer. » Il refuse le terme d’exploitant agricole, lui préférant le noble mot de paysan. Mais c’est un monde menacé de disparition qu’il contemple de son regard à la fois doux et inquiet. Et la disparition de ce monde-là, c’est la préfiguration de la mort de nos racines. C’est la Vie parmi les ombres, pour reprendre le titre du crépusculaire roman de Richard Millet.
La recherche du paradis terrestre
L’espérance, pourtant, ne quitte pas le moine François. La beauté des paysages austères, le bleu des jasiones, le grand silence, lui permettent de poursuivre son service pastoral, sous le gris cendré du ciel, loin des boites où l’on range les hommes. Sur le haut plateau nettoyé par l’écir, on respire la liberté que rien ne peut enfermer. Il vit l’aventure fondamentale de l’homme, devenant « le poète de sa propre existence. » Son message d’humilité, sa soif de spiritualité, en cette fin d’année, font du bien.
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C’est dans la maison familiale que je m’apprête à conclure cet article. Haendel semble déplacer les pierres de basalte formant les épais murs. Je n’ai pas choisi cette région, ce lieu, cette maison. À ce propos, François précise : « L’on est originaire, non pas seulement du pays où l’on a vu le premier jour de sa vie, mais aussi, et bien davantage encore, sans doute, du pays auquel on a abouti, auquel on est revenu sur le tard, par les voies conjuguées de l’exil, du désir et de la nostalgie. » Je vous souhaite, si ce n’est déjà fait, de trouver ce pays que vous finirez par considérer comme le paradis terrestre.
Terminons par cette description du paradis du prêtre François : « Une brume lumineuse estompait la découpe du Plomb – le Plomb du Cantal – et de ses assesseurs sur le ciel. J’avais le vent guilleret, euphorique. Corroborant l’avis du sentier caillouté de basalte qui sonnait sous mes bottes, ce vent me soufflait mot, un seul mot de mon état désormais confirmé : paysan. »
Frère François Cassingena-Trévedy, Paysan de Dieu, Albin Michel.