Dans son essai Ce que l’on ne veut pas que je vous dise, la productrice de cinéma et députée des Hauts-de-Seine Frédérique Dumas (ex-LREM) nous offre une plongée édifiante dans les arcanes de la macronie. Le moins que l’on puisse dire, c’est que ce n’est pas bien reluisant. Elle dénonce notamment l’amateurisme de figures bien connues du grand public (souvent reconduites depuis au gouvernement) et la mainmise d’une petite clique sur le monde de la culture…
Tout le monde a, certes, le droit de se tromper. Bien plus rares, pourtant, ceux qui acceptent de revenir sur le passé pour analyser avec lucidité les causes de leur fourvoiement. Frédérique Dumas est de ceux-là.
Élue députée dans la 13e circonscription des Hauts-de-Seine sous l’étiquette En marche en 2017, présentement membre de la Commission des Affaires européennes et de la Commission de la défense, elle démissionna de son groupe parlementaire en septembre 2018 et fut l’une des premières à quitter le bateau piloté par Emmanuel Macron. Aujourd’hui, elle se penche sur sa vie tant professionnelle que politique, avec une franchise louable.
Son récit circonstancié est riche d’anecdotes, de révélations dont chacune comporte un enseignement.
La candeur en marche
Qui est donc Frédérique Dumas ? Née en 1963, elle est loin d’être novice en politique lorsqu’elle rejoint En marche. Sa famille, c’est le centre droit, celui du MODEM et de l’UDI. Elle a travaillé avec François Léotard quand il était ministre de la Culture, et à la région Ile-de-France avec Valérie Pécresse, pour qui elle ne nourrit pas une tendresse particulière, c’est le moins qu’on puisse dire. Pourquoi ce ralliement à Macron ? Une preuve de naïveté, penseront certains. Comme tant d’autres, cette idéaliste amoureuse de la culture, passionnée par toutes les formes d’art, soucieuse de réduire les fractures et les inégalités sociales, se laissa séduire par les discours de celui qui aspirait, prétendait-il, à un changement radical dans la façon de gouverner. Entre autres promesses fallacieuses, comme elle ne tardera pas à s’en rendre compte.
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Très vite, se succèdent déceptions et surprises. Intrigues, mensonges, promesses non tenues. Fourberies et mesquineries. Contradictions entre les paroles et les actes. Mépris des engagements. Telle est la véritable idéologie macronienne, celle du « progressisme technocratique ». Lequel dévoilera très vite ses faiblesses, son absence de perspectives, sa gouvernance à la petite semaine.
Un jeu de massacre tous azimuts
La brillante carrière professionnelle de Frédérique Dumas, productrice internationalement connue et reconnue dans les milieux du cinéma (son film “The Artist”, avec Jean Dujardin, décrocha, en 2012, trois Golden Globes aux États-Unis) la désignait tout naturellement pour exercer ses compétences dans le cadre de la commission Culture de l’Assemblée. Las ! Sa réputation de frondeuse, gagnée en raison d’une abstention à un vote de confiance, va ruiner tous ses projets et dévoiler à ses yeux l’incompétence, l’ambition personnelle et la veulerie des membres du gouvernement. Son projet de réforme de l’audiovisuel public est torpillé en sous-main, puis proprement escamoté au terme de péripéties narrées en détails. Occasion pour elle de régler ses comptes, sans ménagement : Françoise Nyssen, alors ministre de la Culture, « légère et incompétente ». Richard Ferrand, soupçonneux, surveille les députés « comme le lait sur le feu ». Gabriel Attal, « cynique et opportuniste », forme avec Aurore Bergé, un duo que l’auteur surnomme « les Tenderwood Jr. », en référence à la série télévisée “House of Cards”. En définitive, le domaine de la culture relève du couple Macron et de lui seul. Tous les ministres incolores et inodores qui se succèderont à la Culture, de Franck Riester à Roselyne Bachelot, consultent régulièrement la Première dame, exécutent ses ordres, respectent ses ukases. Jusqu’à Jean-Michel Blanquer, qui bénéficiait au début d’un préjugé favorable, devenu « psychorigide et paranoïaque » après avoir perdu tout humour. Quant au Premier ministre, Edouard Philippe, « il est odieux et il le sait ». La liste est loin d’être exhaustive. Bref, « arrogance, indifférence, mépris naturel », telles sont les caractéristiques communes aux « premiers de cordée ». C’est l’affaire Benalla qui achèvera de dessiller les yeux de Frédérique Dumas, tant sur la nature du macronisme que sur les turpitudes de la macronie. D’où sa décision de démissionner.
Ce coup de projecteur sur ce qui pourrait s’apparenter à un règlement de comptes politiques ne saurait, toutefois, prétendre à l’exhaustivité : il ne concerne qu’une partie de l’ouvrage. Cette copieuse autobiographie aborde, en effet, maints autres sujets, dont la carrière artistique d’une femme aussi passionnée qu’idéaliste. En somme, un témoignage prenant, dont on retient un certain bonheur d’écriture et un indéniable parfum d’authenticité.
Frédérique Dumas, Ce que l’on ne veut pas que je vous dise, Massot Editions, 364 pages.