Chez elle, publié aux éditions Sous le sceau du tabellion, raconte comment une histoire d’amour, sur fond d’océan, change de nature lors d’un retour dans la ville natale de la femme. Un roman intimiste et subtil qui glisse insensiblement dans une atmosphère fantastique.
Ce qui me plait beaucoup dans Chez elle, le dernier roman de Frédérick Houdaer, c’est qu’il se passe au bord de la mer, dans une grande ville portuaire. Vous me direz que pas mal de romans se passent au bord de la mer dans une grande ville portuaire mais la question n’est pas là, la question est de savoir rendre une certaine qualité de l’air, un reflet sur la mer, une odeur salée sur une serviette qui sèche. On connaissait le Houdaer poète, le Houdaer satiriste dans Armaguedon Strip (Le Dilettante), on connaissait moins le Houdaer paysagiste. L’animal doit s’attendrir avec l’âge, il se voit sans doute désormais sur un quai, à peindre des tableaux avec volontairement trop de ciel dedans, comme chez Boudin.
Mais d’autres choses m’ont plu assez vite dans Chez elle, un de ces titres qu’on regrette de n’avoir pas trouvé avant. Ce qui m’a plu, c’est cette histoire d’amour entre un homme et une femme qui ont parfaitement compris, vu leur âge, que ce serait la dernière. Ou bien, que si quelque chose devait venir par la suite, ce ne serait plus tout à fait de l’amour.
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Il y a un peu de sexe pour le prouver, dans le roman de Houdaer, et plus généralement quelque chose de charnel, de sensuel qui signe les relations amoureuses à leur commencement, quand tout donne envie de jouer la bête à deux dos. L’avantage, et Chez elle le montre très bien, des hommes et des femmes qui se rencontrent tard dans leur vie, c’est qu’ils gagnent du temps sur ce plan-là: ils connaissent les corps, le leur, celui des autres ; ils évitent aisément les maladresses rédhibitoires.
Histoire d’une modification
Ce temps gagné, les amants l’utilisent à leur gré. Chez elle raconte comment Clarisse, une romancière de cinquante piges ou presque, qui a eu sa petite heure de gloire mais se retrouve plutôt dans les bacs à solde, décide de montrer à Jam, son amoureux récent, la ville où elle a grandi, la ville natale, ce port qui à mon avis est inspiré par le Havre, une cité qui est stalinienne sous la pluie mais d’une pureté utopique au soleil.
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On est hors saison, le temps change dix fois par jour mais c’est frais et allègre, lumineux. On se baigne, on constate que les villes, hélas, changent plus vite que le cœur d’un mortel, que le petit toboggan n’est plus là, et tant d’autres choses.
Les méandres du passé
C’est Jam qui raconte. Une narration à la deuxième personne. Exercice dangereux si on ne s’appelle pas Apollinaire dans Zone ou Butor dans La Modification. Houdaer s’en tire bien, d’autant que d’une certaine manière, Chez elle est l’histoire d’une modification. Celle de Clarisse. On ne vous en dira pas plus, sinon que cette impression de dépaysement, de radicale étrangeté, si bien rendue par Jam, cette sensation d’être à la fois dans une autre dimension et une autre époque, à suivre cette femme aimée dans les méandres de sa vie passée sur fond d’écume et de galets, elle est fondée.
Chez elle, dieu merci, n’est pas un roman de poète. Je veux dire n’est pas un roman poétique au sens où le Houdaer poète abuserait de la métaphore. Parce que le Houdaer poète sait que s’il y a quelque chose de commun entre un bon poème et un bon roman, ce n’est pas dans les thèmes, le vocabulaire, la forme, c’est dans la manière de faire un pas de côté, de trouver un nouvel angle de tir. A ce titre, Houdaer a fait mouche. Parfaitement.
Chez elle de Frédérick Houdaer (éditions Sous le sceau du tabellion), 132 pages.
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