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Frédéric Vitoux: toujours un coin qui me rappelle

« L’Assiette du chat », Grasset (2023)


Frédéric Vitoux: toujours un coin qui me rappelle
L'écrivain Frédéric Vitoux © JF Paga

Frédéric Vitoux se souvient du Quai d’Anjou par l’entremise de « l’Assiette du chat »


Qu’est-ce que la belle littérature, celle qui ondoie à travers un appartement bourgeois de l’île Saint-Louis, qui glisse entre les meubles et fait remonter les fantômes du passé ou le fracas des mots blessants, lâchés dans un accès de colère par pure vanité ?

Certains écrivains outranciers pensent qu’en usant d’un porte-voix à la place d’un porte-plume, ils se feront mieux entendre et apprécier par la critique ; leurs phrases sonnent trop souvent comme des réquisitoires rances pour toucher sincèrement le lecteur. N’arrivant pas à faire la paix avec leur propre passé, sans cesse portés par leurs névroses, ces victimes en puissance se perdent dans une écriture diffamatoire, un peu vaine et dont l’écho dissonant heurte l’oreille.

L’harmonie des phrases vers quoi doivent absolument tendre tous les auteurs honnêtes demande de la maîtrise au niveau du style et aussi une forme de bienveillance avec ses tourments familiaux. De la tenue aussi, de la rigueur morale, me risquerai-je à avancer. Tous les dysfonctionnements et les bégaiements de l’existence n’ont pas à sortir du cabinet médical. L’écriture n’est pas un déballage, cette foire aux égos meurtris, elle est fragile, hautement périssable, un mot de trop et l’édifice s’effondrera. Par chance, il existe une race d’écrivains gracieux qui arrive à nous transmettre leur histoire familiale avec un toucher soyeux, presque à bas bruit, sans déranger, avec le souci de redonner à chaque personnage croisé au cours d’une vie, sa place et sa trace, son relief et son émoi.

La mélancolie ne se claironne pas

Frédéric Vitoux de l’Académie française ne joue pas les matamores ou les justiciers, les assemblées sont remplies d’exécuteurs testamentaires vachards et rancuniers. Quand l’académicien, grand spécialiste de Céline, n’éclaire pas les ombres de l’ermite de Meudon, il se mue en un délicieux romancier du foyer perdu, en un archiviste délicat du Quai d’Anjou, là où résident ses racines depuis si longtemps maintenant. Dans L’Assiette du chat aux éditions Grasset (merveilleux titre, on se croirait chez Aymé ou Léautaud), l’écrivain est passé maître en une mélancolie plus douce qu’amère chargée d’émotions vraies. N’est-ce pas le bien le mieux partagé par l’humanité entière ? La mélancolie ne se claironne pas, ne se théorise pas, ne se lamente pas, elle se faufile par des portes dérobées, elle affleure par une anecdote anodine qui serre le cœur, elle se déploie dans la discrétion d’un regard et le clair-obscur d’une tenture. Elle déteste la lumière crue et les règlements de compte. Elle est consubstantielle à la littérature. Frédéric Vitoux en fait son miel. L’Assiette du chat, une quelconque soucoupe, va ouvrir les vannes, libérer la mémoire tantôt fissurée ou abîmée, les non-dits ou les regrets, raviver les êtres vivants que furent Fagonette ou Zelda, mais surtout elle sera prétexte à rassembler les morceaux d’un puzzle éparpillé, celui d’un quotidien oublié. La littérature n’est jamais aussi majuscule que lorsqu’elle s’intéresse aux souvenirs minuscules donc personnels. L’Assiette du chat sera ce déclencheur narratif-là, et Vitoux avec son art de peindre couleur sépia son antre, sans se plaindre, nous raconte ses parents, son grand-père le Docteur Vitoux, l’indispensable Nicole, l’épouse tutélaire et tous les témoins qui ont marqué cette adresse des bords de Seine.

L’onde de l’enfance

Ce court récit à l’écriture chaloupée se dandine avec pudeur dans un XXème siècle tumultueux. Si l’écrivain a déjà parlé des siens et de ce coin de Paris dans de précédents ouvrages, il le fait aujourd’hui avec une patte nouvelle, très originale et très libre sur le plan de la construction, en égrenant des instants enfouis sous le poids des années, comme le sablier se vide, avec beaucoup de précaution. L’onde de l’enfance n’en est que plus forte. Frédéric Vitoux dit des choses capitales, essentielles sur les rapports cachés, en se méfiant toujours des mots bavards. Il dessine de jolis portraits de femmes et se rappelle du fil invisible qui le liait à son père. « Mon père et moi évitions d’aborder les sujets qui nous tenaient à cœur, qui nous dévoilaient, qui nous opposaient. Nous étions aussi pudiques l’un que l’autre. Mais nous avions confiance l’un dans l’autre » écrit-il. On se sent bien parmi cette famille élargie, ouverte d’esprit, il y a là, « Tante Clarisse », Odette et son allure à la Carole Lombard, et puis le cousin Jojo qui vivait avec Monsieur Felipe. Il nous plaît ce Jojo, technicien hors pair des trains électriques à la bonne humeur communicative. Alors qu’elle a mauvaise presse en ce moment, qu’elle est attaquée de toute part, on serait tenté d’affirmer grâce à Frédéric Vitoux : « Famille, je vous aime ».

L’Assiette du chat de Frédéric Vitoux – Grasset

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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