Il serait superflu de présenter Botul, le philosophe imaginaire de Lairière, pourtant révéré par Bernard-Henri Lévy et dont le Paris intello bruisse encore du souvenir. Dans cette nouvelle pierre à l’édifice légendaire que ses disciples lui bâtissent, il s’agit d’explorer un épisode oublié, l’affaire dite « de Carcassonne » qui valut en 1928 à Botul son exclusion de l’Instruction publique – ancêtre de l’Éducation nationale – pour avoir emmené sa classe de pré bacheliers au bordel. Devenu professeur de philosophie, remplaçant par fatalité, le Platon du département de l’Aude tenait l’école et son « savoir infusé par les fesses », en piètre estime. Du coup, il s’en est tenu à cette définition pour faire passer le message aux générations suivantes : « Si l’école ne va pas au bordel, ce sera le bordel à l’école. »
Évidemment, son exégète Frédéric Pagès ne s’abaisse pas à transformer cette sombre histoire en parabole édifiante sur la réforme du collège de l’amie Najat. Jean-Baptiste Botul mérite mieux que de servir les opinions des uns et des autres.
Certes, la découverte, dans une armoire, entre la boîte à boutons et la boîte à roudoudous, du rapport outré de l’inspecteur de l’Instruction publique, nous fait songer que les choses n’ont pas beaucoup changé en un siècle dans le ventre du mammouth. « Nous trouvons la classe de monsieur Botul en grand désordre. (…) Il n’y a personne au bureau. Où est passé le maître ? (…) Monsieur Botul semble vouloir mélanger cours de philosophie et cabaret. (…) Je ne trouve pas trace du Cahier de texte, qui permettrait de vérifier que le programme est traité. Quand je lui en fais la remarque, monsieur Botul hausse les épaules et répond : « Le programme, c’est moi. » »
Ce qui lui vaut l’ire de l’institution, c’est la conception particulière que se fait Botul de l’instruction, qu’il souhaite voir (re)devenir un procédé d’initiation chevaleresque – ou à la grecque, en témoignent les sujets de disputatio qu’il propose à ses élèves : pour ou contre les Pyrénées ? Le facteur sonne-t-il toujours deux fois ? Quand on rend visite à sa maîtresse, vaut-il mieux voir un amant sortir ou, quand on en sort, croiser un amant qui entre ?
Ces excentricités lui attirèrent le soutien de Simone de Beauvoir et Jean-Paul Sartre aussi bien que d’Alain et de son élève Simone Weil, ou encore de Monseigneur Daniélou. Mais au-delà de l’indéniable vernis glamour, Botul développe une véritable hypothèse pédagogique parallèle selon laquelle, exemples exhumés par l’hagiographe à l’appui, il manque aux garçons des rites établis pour devenir des hommes. Le XXe siècle a coupé ras tous les débordements de la jeunesse en encadrant sa consommation d’alcool, sa pratique des sports violents, ses manifestations étudiantes, en interdisant partiellement le bizutage et la prostitution, laissant un « vide initiatique pour jeunesse élevée hors sol ». L’idée universelle selon laquelle l’initiation doit faire mal (« mâle » diront les adeptes de l’à propos) s’est perdue.
L’exposé est crédible et même annexé d’une intervention féministe outragée par cette célébration de la testostérone et des coups de poings sur le torse…
Revenant à l’affaire de Carcassonne, Pagès constate l’échec cuisant du rite d’initiation des élèves de Botul au bordel Mon Caprice : le philosophe avait organisé une joute oratoire dont le vainqueur se serait vu offrir une nuit avec une des pensionnaires. L’entreprise se termine en charivari nocturne qui ne renverse rien ni ne transforme personne, les prostituées finissant par s’écharper sur la question de leur propre liberté : rien de nouveau sous le soleil…
Est-ce parce que les femmes avaient obtenu de concourir au même titre que les hommes, ou le destin de toute révolution ? Botul ne le dit pas.
Botul au bordel, Frédéric Pagès, Buchet-Chastel.
*Photo : Wikipedia.
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