Jouer, trahir, crever, le premier roman de Frédéric Massot, raconte l’histoire vraie d’un footballeur collabo.
André Gide a écrit que c’était avec les beaux sentiments qu’on faisait de la mauvaise littérature. Pour son premier roman, Frédéric Massot a dû suivre son conseil. Il raconte l’histoire véridique d’Alexandre Villaplane, vedette de football, surnommé le « Morpion », qui a participé, sous le maillot des Bleus, à la première coupe du monde disputée en Uruguay, en juillet 1930, sous quelques flocons de neige. Il connaît la gloire, le vertige devant les photographes, les cris de la foule hurlant quand il marque un but. C’est le Zidane de l’époque. La comparaison s’arrête là car le parcours du footballeur, capitaine de l’équipe de France, devient romanesque jusque dans l’abjection. Ce garçon, né à Alger en 1904, finira fusillé le 27 décembre 1944 au fort de Montrouge pour intelligence avec l’ennemi en vertu de l’article 75 du code pénal qui enverra au peloton d’exécution l’écrivain Robert Brasillach.
Documentation solide
Si le type a du talent avec un ballon au pied, il excelle dans les trafics en tous genres. C’est un sportif qui aime la vie facile, le monde interlope des truands, l’argent facilement gagné. Il semble ne pas avoir de morale malgré une vie de famille. Mais « Alex » n’a pas d’envergure. Il se contente de courses truquées. Ça respire la petite frappe minable si bien décrite dans les romans d’Alphonse Boudard. Car chez le « Morpion » la métamorphose va s’avérer foireuse et fatale. Jouer, trahir, crever raconte son itinéraire en s’appuyant sur une documentation solide.
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L’auteur a mené l’enquête, y mêlant parfois des éléments familiaux touchants. On découvre la transformation du foot amateur en foot professionnel, c’est-à-dire « business ». Mais, surtout, on voit combien il était facile, après la défaite de 1940, de tourner malfrat et de faire des affaires en côtoyant de belles ordures et des artistes qui buvaient du champagne et dégustaient de la sole de Dieppe en se foutant pas mal des jeunes résistants tués pour sauver l’honneur de la France. C’est tellement bien décrit par Frédéric Massot que ça ne donne pas envie d’être philanthrope.
Pétain en Cadillac
L’ancien capitaine des Bleus va croiser Monsieur Henri, Henri Chamberlin, dit Lafont, le roi des collabos, personnage cynique dirigeant la Carlingue, au 93 de la rue Lauriston, et devenir l’un de ses nombreux voyous qui traquaient les juifs et torturaient les résistants tout en menant la grande vie parisienne. Les fastes d’un pays défait et corrompu, à l’image de Pétain qui roulait en Cadillac offerte par Roosevelt. Arrêté, sentant la condamnation à mort, Villaplane écrit au juge d’instruction qu’il est « un combinard, et pas un assassin ». Alors qu’avoue-t-il ? Réponse de Frédéric Massot : « Sa honte surtout, son dégoût de lui-même, de cet uniforme d’Untersturmfürher dans la SS, de ce brassard qu’il a porté pendant trois mois ». Il a pourtant, paraît-il, sauvé des résistants, des FFI (Forces françaises de l’intérieur). Certains témoigneront à son procès. C’est que la frontière est poreuse entre résistants et collabos. Il suffit de relire Duras pour s’en rendre compte. Dans les périodes d’effondrement moral, la vraie nature des individus éclate. C’est souvent affligeant. L’héroïsme est une denrée rare. Villaplane portait le maillot des Bleus comme l’uniforme des SS. L’essentiel, c’était d’avoir du pouvoir.
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