C’est l’histoire d’un mec, il s’appelait Georges Marchais. En décembre 1979, en duplex depuis Moscou, il approuva en direct dans le JT l’intervention soviétique en Afghanistan. Un an et demi plus tard, le Parti faisait un plongeon historique à la présidentielle (à l’époque son score de 15% était considéré comme catastrophique, mais c’est une autre histoire). Les responsables de cette déconfiture communiste furent vite trouvés. Bon sang, mais c’est bien sûr, c’est la faute aux médias !
Pendant longtemps, ce mantra fera fonction de grille d’analyse unique au dit parti. Et comme on ne change pas une idée qui perd, la même bonne blague a servi à Raymond Barre en 1988, à Lionel Jospin en 2002 et à Jean-Marie Le Pen en 2007. Et même, à titre posthume, à Pierre Bérégovoy…
Rendons grâces à Frédéric Lefebvre, jamais en retard d’une tendance, d’avoir ressorti ce rossignol du placard, pour la collection automne-hiver 2009 de l’UMP. En accusant « les médias » de chercher « par tous les moyens, à détruire le président de la République », il ne fait rien d’autre que qu’une belle grande crise de complotisme.
On imagine la scène : à l’aube, seul dans son bureau à Marianne, Maurice Szafran décroche son téléphone et appelle Joffrin: « Salut Laurent, qu’est-ce qu’on pourrait faire aujourd’hui pour déstabiliser la République? » » J’ai des idées, Maurice, répond Laurent, on pourrait peut-être inventer un truc sur Jean Sarkozy ? Mais faut d’abord que je demande à Barbier ce qu’il en pense. N’oublie pas qu’on chasse en meute ! » Puis Lolo appelle le patron de l’Express, qui lui même téléphone à Apathie, qui en touche un mot à Edwy, qui lui-même explique la ligne du jour à Nicolas Demorand. L’objectif est simple : le Président de la République, élu par les Français, ces gens-là veulent le pendre à un croc de boucher. Heureusement, Frédo est là pour dénoncer ce nouveau complot des blouses blanches, démasquer les coupables et les désigner à la vindicte d’une opinion forcément indignée.
Profitons de ce que nos amis de l’UMP sont partis en séminaire de motivation afin de défendre au mieux les intérêts de leur chef et donc de la France, pour t’expliquer, lecteur, ce dont on parle. En fait de complot médiatique, il y a juste un énorme bug – le plus gros sans doute depuis le bouclier fiscal – de la machine à communiquer sarkozyste. On mettra de côté l’affaire Mitterrand, trop atypique, trop psychanalytique pour opposer méchants sarkozystes aux gentils journalistes (cf la défense hallucinante de Mitterrand-Salengro par BHL).
En revanche, la polémique de l’Epad, est un banal produit dérivé d’une monstrueuse erreur de dosage des communicants de l’UMP. Ces brillants cerveaux surpayés, ont juste oublié de faire un peu de politique. Certes sur le papier, c’est une élection, et Sarkozy Jr y est éligible. Qui plus est, le jeune Jean est, reconnaissons-le sans tortiller, plutôt très doué pour ses 23 ans. Sauf que quand on a été porté à l’Elysée au titre de la rupture, de la République impartiale et de la valeur travail, on n’autorise pas son fils à se porter candidat à la tête d’une money machine comme l’Epad. Parce que ce faisant, on est un peu aux antipodes des valeurs de courage et de sacrifice qu’on a voulu incarner avec la lettre de Guy Môquet. Le drame de l’UMP, c’est que ce coup-là, notre président d’ordinaire si affûté, ne l’a pas vu venir. Notre paie contre la sienne, que si le banco de l’Epad était à refaire, en vrai, il ne le referait pas.
Le drame du sarkozysme, c’est sa force. Sa modernité ontologique, c’est d’avoir fait muter l’habituelle émulsion instable genre vinaigrette entre com’ et pol’ en mélange indissociable façon mayonnaise. Les avantages, on les connaît, c’est cette mixture qui a transformé le proscrit de 1995 en président de 2007. Les inconvénients, c’est qu’aucune erreur politique ne peut plus être rattrapée, au risque de rendre le brouet totalement indigeste. Oui, le sarkozysme est une mayonnaise: ou elle parfaite ou tu la rates complètement. La vinaigrette chiraquienne ou mitterrandienne supportait, elle, un poil de sel en plus, ou une rallonge de vinaigre en fonction des nécessités ou du goût du moment. Chez Sarko, quand un maillon lâche, tout pète. Il est donc assez vain d’accuser les médias et encore moins l’opposition (quelle opposition ?) de vouloir affaiblir le Président de la république. L’UMP, avec son armée bolivarienne de communicants, y arrive parfaitement toute seule.
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