Le critique littéraire Frédéric Ferney doit tout à la langue, à la littérature et à la culture françaises. Il n’entend pas pour autant s’enfermer dans un passé mythifié ou une identité close.
Causeur. Dans Mémoire espionne du cœur (éditions Baker Street), vous imaginez des dialogues, par-delà les siècles et les océans, entre de grandes figures de la culture française et occidentale. Pourquoi avoir inventé ces rencontres dont certaines auraient pu avoir lieu (Sagan/Warhol) et d’autres pas (Le Caravage/Pasolini) ?
Frédéric Ferney. Le monde de Rabelais n’est plus le nôtre, le Saint-Tropez de Sagan n’est pas la Chine de Confucius ! Mais, au-delà de leurs différences qui sont parfois des abîmes, je me sens contemporain de tous ces gens-là. Ils me sont à la fois proches et lointains – proches, peut-être, parce qu’ils sont étrangers. J’aime ce dialogue entre le passé et le présent, entre les vivants et les morts. Dans ce qui nous est transmis sous un mot, la culture, il y a de l’oubli, des trous, des ratés – j’y remédie ! Pour rire – car je fais des pastiches !
Par votre amour malicieux des arts et des lettres, vous êtes singulièrement français. Vous trouvez néanmoins malséants les débats sur l’identité nationale. Pourquoi avoir ces pudeurs de jeune fille ?
Je suis fatigué d’entendre des gens revendiquer leur identité nationale, comme si c’était un état, une assignation à résidence, une prison. J’aime la diversité, les mélanges, les contradictions. Nos identités sont multiples. Je suis singulier parce que je suis pluriel ! Je suis français par l’histoire, mais surtout par la langue – le français est plein de mots étrangers, d’immigrés, qu’il adopte, modifie, absorbe ou rejette. Comme un glacier. J’aime le cri de Michaux : « Donnez-moi de la lenteur ! »
Si le roi hier ou le président aujourd’hui se mêlent de culture, c’est parce que, dans ce pays, la culture relève du pouvoir régalien
Mais qui nie cela, à l’exception peut-être, des identitaires stricto sensu ? Que l’identité soit évolutive, c’est une évidence. Cela n’empêche pas des permanences qui distinguent les peuples les uns des autres. De plus, on a le droit de penser que tout apport n’est pas un enrichissement ni toute nouveauté un progrès.
Au-delà des effets indésirables de la mondialisation, au-delà de ses crispations, et malgré internet, la France reste étrangement identique à elle-même : divisée, décevante, despotique, enracinée dans ses abstractions et toujours réfractaire aux dialectes, aux tribus, aux idoles. C’est un espace mental plus que natal. On est français par la volonté, ce qui signifie qu’on peut le devenir au bout d’un « certain temps », comme disait Fernand – Raynaud ou Braudel, comme vous préférez !
Ce qui relie les Français entre eux, ce n’est ni la religion ni la race, c’est la culture, dont l’une des expressions est la langue. C’est ce qui fait, par exemple, qu’un jeune juif lituanien, Emmanuel Levinas, a choisi la France dans les années 1920… à ses risques et périls !
La langue, c’est une affaire d’État ! Les décrets d’Édouard Philippe contre l’écriture inclusive font écho à l’édit de Villers-Cotterêts signé sous François I
