J’aurais dû me douter en le contemplant figé dans le bronze face à la mer…
Élégamment vêtu, Chopin semblait narguer le pain de sucre de Rio de Janeiro pour l’éternité. J’aurais dû me douter que sa posture pensive dissimulait un trésor identitaire plus étincelant que celui de mâle blanc « daté » – comme disent les jeunes – faisant de la musique pour Blancs. Derrière les sonates de Chopin se draperait-il une nouvelle icône LGBT?
Durant le confinement printanier, un journaliste helvète dénommé Moritz Weber a épluché des lettres de Frédéric Chopin. « Vous n’aimez pas être embrassé. S’il vous plaît, laissez-moi le faire aujourd’hui. Vous devez payer pour le rêve salace que j’ai fait à votre égard la nuit dernière », aurait écrit le pianiste en polonais au compositeur Tytus Woyciechowski. « Les archivistes et biographes ont délibérément fermé les yeux sur les lettres homo-érotiques du compositeur durant des siècles pour rendre l’icône nationale polonaise conforme aux normes conservatrices », abonde le quotidien britannique The Guardian – qui échappe lui aux accusations de complotisme.
Des mots qui sonnent un peu différemment en polonais
« Chopin était un romantique qui ne faisait absolument pas la différence entre les hommes et les femmes dans ses lettres d’amour. Voir une sorte de conspiration derrière les lettres cachées est absurde », a tempéré un dénommé Frick, professeur retraité du département de langues slaves de l’université de Yale. Un porte-parole de l’Institut Frédéric Chopin -créé au début du siècle et situé à Varsovie – souligne que la tonalité érotique des lettres du pianiste relève du grand élan romantique du XIXème – auquel on peut rattacher les mouvements de Chopin – et assure que ses mots doux « sonnent un peu différemment en polonais ».
A lire aussi, l’ouvreuse: LGBTHOVEN
De quoi lever le pied de la pédale d’amplification des faits visant à mieux les récupérer? Loin s’en faut. « Les lettres d’amour enflammées du pianiste Frédéric Chopin à des hommes sortent des tiroirs », s’est ébaudi le magazine Têtu en guise de titre. Euphorique, le journal émet l’hypothèse que « sa passion supposée avec l’autrice féministe et très probablement bisexuelle George Sand pourrait dès lors n’avoir été qu’une façade ».
Qu’il soit de la fanfare ou pas, écoutons Chopin !
La palme revient néanmoins à la « page » Twitter Le coin des LGBT+. Forte de ses treize mille abonnés, elle a tweeté un poil courroucée: « Passer sous silence qu’une personne (Chopin) était LGBT+, c’est laisser croire (à dessein!) qu’elle était dyadique[1], cisgenre[2] et hétéro ». Bientôt des valses labellisées LGBT+ lors de nocturnes chopinesques déconseillés aux couples « binaires »? En l’attente du meilleur des mondes, le meilleur moyen d’honorer le génie que fut Chopin et d’ « empêcher que le monde ne se défasse » (complètement), comme dit Albert Camus à Stockholm, est encore d’écouter ou de jouer ses valses. Et pour cela, nul besoin d’abuser de la pédale douce!
[1] « Dyadique (dyadic) : une personne qui rentre dans les standards mâles ou femelles, c’est à dire non-intersexe », nous apprend le site internet uniqueensongenre
[2] « L’adjectif cisgenre est un néologisme désignant un type d’identité de genre où le genre ressenti d’une personne correspond au genre assigné à sa naissance. Le mot est construit par opposition à celui de transgenre », assure Wikipédia.
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !