Ex-chroniqueurs de France Inter, l’humoriste Walter et l’écrivain Frédéric Beigbeder dénoncent l’uniformisation du rire. Pouvoir des comiques, causes de l’autocensure, ressorts de l’humour: les deux compères n’éludent aucune question. Peut-on rire après Charline? Débat.
Causeur. Vivons-nous sous la dictature du rire qu’Alain Finkielkraut dénonce depuis longtemps ? Les humoristes ont-ils déshonoré l’humour ?
Frédéric Beigbeder. C’est compliqué de généraliser. « Humoriste » est un terme très vague qui recouvre une foule de genres. Il y a des tas d’humoristes que j’adore, burlesques comme Jonathan Lambert, cyniques comme Gaspard Proust ou sémantiques comme Stéphane de Groodt. Mon roman parle de mon expérience à France Inter, où j’ai observé l’uniformisation de l’humour avec des blagues allant toujours dans le même sens. Quand les humoristes se mettent au service d’une cause, ils cessent de faire de l’humour.
La patronne de France Inter a parfaitement conscience de l’uniformité idéologique de sa station, ce parti pris l’embarrasse, mais elle ne sait pas comment le changer
Walter. J’ai moi aussi connu à France Inter cette espèce d’exercice obligé qui veut que les comiques maison mettent en boîte Christine Boutin, Éric Zemmour, ou autres têtes de Turc habituelles. Mais dans l’immense majorité des cas, ils n’ont pas la culture de leurs prétentions. Du coup, cela donne souvent l’impression d’un sermon dominical prévisible. Peut-être qu’en l’occurrence, les curés sont d’ailleurs les lointains bâtards du Desproges du « Tribunal des flagrants délires ». Sauf que lui possédait une culture, un humanisme et une autodérision qui rendaient l’exercice brillant.
Ce panurgisme n’est-il pas inhérent à la professionnalisation de l’humour ?
Walter. Je ne crois pas. D’ailleurs, contrairement à Frédéric Beigbeder, je ne dénonce pas l’existence d’une école de l’humour au Québec. Il peut être intéressant d’analyser les figures de style et la rhétorique propres au métier. Le problème n’est pas la professionnalisation, mais le mélange des genres qui crée un jeu truqué entre politiques et humoristes. Je me suis maintes fois retrouvé en face d’hommes politiques qui ne pouvaient pas se défendre, car soit ils répondaient et passaient pour des pisse-froid, soit ils acquiesçaient et nous donnaient raison. Pile, je gagne, face tu perds ! D’autant que mes confrères ne s’incluent que rarement dans les travers qu’ils brocardent. Pourtant, l’autodérision est la base de l’humour.
Ceci dit, il est possible de faire un pas de côté. Face à Dominique Baudis, j’avais écrit une chronique sur la calomnie et la censure. J’avais ironisé sur le fait qu’il était passé de l’Institut du monde arabe au CSA, ce qui lui donnait de solides références en matière de censure.
Frédéric Beigbeder. L’humour vient d’un accident, il réagit à un événement extérieur et inattendu, surprenant, bizarre ou original, qui provoque l’envie de faire une vanne. Bien sûr, cet accident doit ensuite être travaillé, mais le résultat doit créer la surprise. Beaucoup d’humoristes de France Inter ont du talent, mais ils sont trop prévisibles sur le fond. Que devient le « rire de résistance » cher à Jean-Michel Ribes quand les résistants sont au pouvoir ? Ils vont résister à quoi ? Seront-ils capables de résister à eux-mêmes ?
Walter. Tout de même, sans se prendre pour un éditorialiste, l’humoriste peut aussi avoir un avis. Quand j’ai parlé de l’affaire Matzneff sur Sud Radio, c’était pour me moquer des gens qui avaient changé d’opinion avec le vent et pour suivre le vent. C’est un point de vue très politique. (Qui a suffi pour me faire traiter de pédophile sur les réseaux sociaux [rires].)
Frédéric Beigbeder. Un livre peut faire changer d’avis. Il est parfois courageux de changer d’avis. En tout cas, même sur France Inter, il y a des comiques qui ne font pas de politique, comme Chris Esquerre qui m’a brillamment remplacé. Daniel Morin, Tanguy Pastureau ne font pas de politique.
Vous l’expliquerez à Charlotte d’Ornellas, traitée de pétainiste par Daniel Morin… Frédéric Beigbeder, n’avez-vous pas découvert que l’humour « francintérien » était toxique parce que vous avez échoué dans l’exercice ?
Frédéric Beigbeder. Oui, mon roman est l’ouvrage d’un humoriste raté et aigri ! Je tente souvent des expériences professionnelles hasardeuses. Je ne connaissais pas la cadence stakhanoviste des humoristes avant de travailler sur France Inter. Comme c’est mal payé, j’ai accepté pour de mauvaises raisons : la vanité et la gloire ! J’étais le seul à ne pas avoir de spectacle à vendre, donc j’y allais uniquement pour souffrir. Une fois sur dix, ma pastille marchait, on me complimentait et j’étais très heureux. Mais le reste du temps, c’était complètement bancal. Je n’y suis resté que
