1. Le passeport rouge à croix blanche
Je n’ai jamais assisté dans ma vie qu’à trois mariages. Je précise : à la mairie, jamais dans un lieu de culte. Les deux premiers furent lugubres. Il se trouve que j’étais le marié, l’homme qui se trouvait pris, malgré lui (enfin pas tout à fait), dans un piège dont il n’eut qu’une hâte : en sortir au plus vite.
La première fois, il avait pour excuse sa jeunesse et un cœur moins sec que celui d’aujourd’hui. La délicieuse vietnamienne avec laquelle il partageait son lit avait perdu sa nationalité après la chute de Saïgon. Devenue apatride, elle aspirait à obtenir le très convoité passeport rouge à croix blanche. Il ne pouvait le lui refuser. Il savait que son avenir professionnel – elle travaillait pour Nestlé – en dépendait. Le mariage fut donc célébré à l’Hôtel de Ville à Lausanne, place de la Palud, suivi d’un déjeuner à La Grappe d’Or avec les deux témoins.
C’était une situation schizophrénique : l’homme qui était moi disait oui et je pensais non. Plus la cérémonie avançait, plus le charme de la jeune mariée s’estompait : je ne voyais plus que le boulet que j’aurais à traîner jusqu’à la fin de mes jours. Elle prétendait que notre amour était fragile comme du cristal, qu’il nous fallait tout sacrifier pour le préserver jusqu’à notre mort. Cela m’incita à le briser au plus vite. Dès qu’elle l’apprit, elle recourut au moyen de chantage le plus médiocre : le suicide. Je n’étais pas très doué pour la culpabilité. Elle ne l’était pas plus pour les solutions extrêmes. Elle monta dans sa Mini Cooper avec l’intention de se jeter dans un précipice. Je n’en valais sans doute pas la peine : je la retrouvai quelques heures plus tard dans un salon de beauté. Toutes les grandes passions s’achèvent pour les femmes dans un salon de beauté. Et pour les hommes dans les bras d’une autre crazy girl.
2. Le triomphe de l’espérance sur l’expérience
Mon second mariage, bien des années plus tard, ne signa pas le triomphe de l’espérance sur l’expérience, mais bien plutôt mon inaptitude à ce genre d’exercice. Il fut plus étrange encore que le premier, car je vivais dans le plus total dérèglement des sens avec une ex-championne de tennis de table (catégorie cadettes), elle-même passablement dérangée. Ce n’était pas elle que je m’apprêtais à épouser, mais une jeune Japonaise à laquelle, au terme d’un séjour magique dans l’empire du Soleil-Levant, j’avais tout promis, y compris de passer devant le maire du VIIe arrondissement, à Paris. Elle y tenait tant que je n’eus pas le cœur de briser le sien. Ce qui tendrait à prouver que je ne suis pas aussi cruel qu’il y paraît. Je tins donc mon serment dans les mêmes dispositions que la première fois. Et nous dinâmes avec les témoins, un Coréen homosexuel et un philosophe japonais, dans un petit restaurant italien de la rue du Bac. J’éprouvai une fois encore un sentiment d’inquiétante étrangeté : celle d’un homme qui ne cesse de se fourvoyer. Tout semblait parfait, mais tout sonnait faux.
Mais bon, elle était japonaise, ce qui simplifiait tout : il suffit dans l’empire du Soleil-Levant d’envoyer une lettre de rupture à la mairie pour que le divorce soit aussitôt prononcé. Voilà une forme de raffinement qui me soulagea beaucoup. Quant à la jeune épouse, qui était d’une beauté éclatante, mais qui cessa de l’être à mes yeux dès lors que nous fûmes mariés, elle convola quelques mois plus tard avec un autre amant. La championne de tennis de table, elle, perdit rapidement tout attrait pour moi. On est hentaï (pervers, en japonais) ou on ne l’est pas. Il se trouve que j’avais quelques dispositions en la matière.
3. Les lions et la souris
Le troisième mariage fut celui de mon ami Frédéric Beigbeder, à Biarritz, avec une jeune Suissesse à fossettes. Ce fut très chic, très people, avec un Houellebecq déjanté pour l’animation, et je veux croire que l’auteur de L’amour dure trois ans n’a pas éprouvé à la mairie de Guéthary les mêmes sentiments légèrement nauséeux que moi. Inutile de le rappeler : le mariage est une citadelle. Ceux qui sont à l’extérieur aspirent à y entrer, alors que ceux qui sont à l’intérieur sont prêts à sacrifier leur vie pour en sortir. Il existe peut-être de bons mariages (quoique j’en doute), il n’y en a pas de délicieux. Peut-être n’est-ce qu’une manière de montrer aux autres et de se prouver à soi-même qu’on est à l’aise sexuellement et socialement. J’avoue n’y être jamais parvenu.
Woody Allen disait, sauf erreur, qu’il préférait l’incinération à l’enterrement – et tous les deux à un week-end en famille à la campagne. Dire que je le comprends serait un euphémisme. Je me souviens aussi de cette petite souris qui, lors d’un mariage entre lions, se trémoussait et voulait absolument danser avec un fauve. Tous les lions, après l’avoir bien observée, lui firent remarquer respectueusement qu’elle n’était pas des leurs. La souris leur répondit alors humblement : « Mais avant mon mariage, j’étais pourtant comme vous ! ». La leçon que j’en tire : il vaut mieux avoir une raquette en main qu’une bague au doigt. Et puisque je parle de raquette, il est temps que je rappelle l’ex-championne de France de tennis de table pour quelques échanges…
Causeur ne vit que par ses lecteurs, c’est la seule garantie de son indépendance.
Pour nous soutenir, achetez Causeur en kiosque ou abonnez-vous !