Maintenant que Georges Frèche a gagné dans les urnes, que faut-il en conclure ? Que les électeurs languedociens pensent que Frèche est antisémite et qu’ils partagent cette phobie des Juifs avec lui ? Ou bien qu’ils pensent que Frèche est antisémite mais que ce petit défaut ne compte pas face à ses belles qualités de président de région ? Ou encore qu’ils ne croient pas du tout à l’accusation d’antisémitisme portée par ses accusateurs parisiens ou haut-normands ? Personne n’en saura jamais rien. Et cette incertitude laisse en bouche un goût amer.
Quand un homme politique, que certains veulent à tout prix prouver raciste, gagne systématiquement devant les électeurs, c’est l’accusation de racisme elle-même qui finit par poser question. Cette accusation semble devenue un système pour discréditer l’adversaire. Chaque semaine ou presque, la presse ou la classe politique relève chez tel ou tel responsable un « dérapage ». Un mot bien pratique, puisque chacun le comprend comme une authentique accusation de racisme, mais qu’il protège celui qui la porte de représailles judiciaires. Dans les journaux ou sur les ondes, le mot « dérapage » cède vite la place, les jours suivant l’esclandre, à « propos jugés racistes par certains ». Puis, tout simplement, « jugés racistes ». Jugés, vraiment ? Par quel tribunal ?
Alors, en ce lendemain d’élection, il faut faire l’effort de revenir à froid sur le cas Georges Frèche. Que le président réélu de Languedoc-Roussillon soit un personnage outrancier, un potentat local, admirateur de Lénine et Mao, un mégalomane, cédant souvent à la violence verbale, sans doute. Mais raciste ou antisémite ?
Le 11 février 2006, Frêche insulte violemment, non pas les Harkis en général comme les médias l’ont dit et répété, mais des Harkis qui ont rallié l’UMP et qui perturbent un dépôt de gerbe en l’insultant. « Allez avec les gaullistes à Palavas, » réplique Frèche. Vous y serez très bien ! Ils ont massacré les vôtres en Algérie et vous allez leur lécher les bottes ! » L’insulte est politique, pas ethnique. Frêche leur reproche d’avoir, en se rapprochant des gaullistes, trahi la mémoire de leurs frères, abandonnés par de Gaulle à la vengeance sanglante des indépendantistes algériens. De plus en plus énervé, Frèche poursuit : « Mais vous n’avez rien du tout, vous êtes des sous-hommes. Vous n’avez rien du tout, vous n’avez aucun honneur, rien du tout. » Certains trouvent dans ce « sous-hommes » l’écho des Untermenschen d’Hitler. Dans le contexte très chaud de la dispute, on entend surtout une bravade de cour de récré, du genre « t’as rien du tout entre les jambes, t’es pas un homme ! » Ce n’est pas très fin, ni très digne, c’est franchement macho et carrément méchant, mais ce n’est pas raciste.
Le 16 novembre 2006, en séance budgétaire, Frêche constate que dans l’équipe de France de football « il y a neuf Blacks sur onze. La normalité serait qu’il y en ait trois ou quatre. Ce serait le reflet de la société ». Et il conclut : « S’il y en a autant, c’est parce que les Blancs sont nuls. » S’il y a du racisme dans ces phrases, il porte évidemment contre… les Blancs ! Qui ose le lui reprocher ?
Quand Frêche lance, le 22 décembre 2009, « Si j’étais en Haute-Normandie, je ne sais pas si je voterais Fabius. Je m’interrogerais. Ce mec me pose problème. Il a une tronche pas catholique », il réplique à une attaque frontale (deux jours avant, Fabius avait déclaré sur France 5 qu’il ne serait pas sûr de voter Frêche s’il était languedocien). Frêche répond donc du tac au tac à un adversaire politique… baptisé catholique. Cette parole verbale serait passée totalement inaperçue si L’Express ne lui avait donné (un mois après qu’elle eut été prononcée) tout à la fois une audience nationale et un sens bien préci,s grâce à l’ajout d’un encadré sur les ancêtres juifs de l’ancien premier ministre. Sans l’hebdomadaire et sans les socialistes (Claude Bartolone en tête), les Français avaient toutes les raisons d’ignorer les origines de Fabius.
« Frêche n’est ni raciste ni antisémite », dit la socialiste Hélène Mandroux, qui l’a affronté sans succès aux régionales, après avoir travaillé avec lui. « Il n’est pas antisémite », dit Richard Prasquier, le président du CRIF (Conseil représentatif des institutions juives de France). « Pour moi, être d’ascendance juive, ce serait un honneur », écrivait dans un livre paru en 2007 le même Frêche, qui a par ailleurs jumelé Montpellier avec la ville israélienne de Tibériade. Malgré tout cela, la petite musique de l’accusation a continué de courir dans les médias nationaux.
Le pire est que Frêche en est venu à se laver avec la boue dont on l’éclabousse. Le 9 mars, il a accusé le PS, qui avait participé à une manifestation hostile à l’implantation à Sète d’une entreprise israélienne de fruits… d’être antisémite ! « C’est celui qui le dit qui y est », comme on disait à la récré. Voilà où nous en sommes rendus dans le beau pays de France.
Face aux traqueurs monomaniaques de la Bête immonde, on aimerait juste réclamer le bénéfice du doute pour ceux qui parlent publiquement.
Cela éviterait que :
- chacun puisse être sommé de démontrer qu’il n’est pas raciste au fond de lui-même (preuve impossible à apporter, à moins d’inventer une police des arrière-pensées) ;
- les « fabricants de réputation » jettent l’opprobre sur un innocent, sous prétexte de ne jamais laisser courir de coupables ;
- et surtout, se banalise une accusation qui devrait garder toute sa force. Ceux qui crient chaque jour au loup et voient partout des racistes dans les assemblées républicaines affaiblissent la cause de la lutte contre le racisme.
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