Cher Monsieur le fiscalisateur,
Je viens de recevoir il y a quelques jours ma déclaration d’impôts préremplie et je me demandais à cette occasion si nous pouvions trouver un petit arrangement, entre nous, comme ça, en toute discrétion. En effet, j’ai appris dans le journal quelques temps auparavant que le grand timonier de l’économie, M. Moscovici, avait décidé de prélever dix milliards supplémentaires dans le portefeuille des Français, après avoir ponctionné vingt-quatre milliards en 2013 et vingt milliards en 2012. Loin de moi l’idée de ne pas vouloir vous donner un coup de main afin de continuer à financer les émoluments de nos trente-huit ministres ou les voyages de notre président et de sa petite amie à New-York, qui a fait de gros efforts cette fois j’en suis conscient pour faire un peu moins de shopping, mais bon je risque de ne plus avoir assez de monnaie pour le parcmètre.
C’est pourquoi, à l’instant de m’acquitter de mon devoir de citoyen et de mon obole annuelle, je me demandais si nous ne pourrions pas convenir d’un petit arrangement pour une fois, un peu comme M. Cahuzac par exemple, avec son compte en Suisse à géométrie variable, ou M. Guéant et ses tableaux vendus à la sauvette. Je sais bien évidemment que je ne peux pas demander à bénéficier d’un traitement de faveur par rapport aux autres Français et que si tout le monde faisait comme moi vous n’en sortiriez plus mais je me disais, en regardant ma feuille d’impôt, allez cette année pourquoi pas moi ? On pourrait peut-être s’arranger discrètement pour m’en mettre un peu de côté aussi et je saurais rester discret. Au besoin, si je me fais pincer, je pourrais toujours faire semblant de démissionner ou alors prétendre comme un gros blaireau que j’ai refourgué une croûte à prix d’or sur e-bay. Après tout, comme on le voit tous les jours, plus c’est gros, plus ça passe et le ciel ne nous tombe pas sur la tête pour autant.
D’ailleurs, si vraiment l’opinion est trop choquée, je pourrais réellement envisager d’abandonner la vie politique et mon travail afin de tirer de manière responsable les conséquences de mes actes et aller profiter de mes rentes quelque part dans un camping entre Berck-Plage et Hazebrouck, à l’abri des médias et de l’effervescence. Moi vous savez, je suis un peu comme Claude et Jérôme, de toute façon je ne sers pas à grand-chose. La plupart du temps moi aussi je n’en fous pas une rame et je brasse surtout beaucoup d’air en déclarant à qui veut l’entendre que j’ai un bilan du tonnerre et que sans moi la boîte se casserait la gueule. Je suis sûr que mes collègues seront ravis de me voir décamper et ne m’en voudront même pas d’avoir détourné quelques millions. Avec Jérôme et Claude, on se tirerait en camping-car et on irait se bronzer la couenne dans un paradis fiscal les pieds dans la flotte et pas trop loin d’une supérette. On jouerait à la pétanque, on boirait des pastis et on ferait des chèques en blanc au supermarché pour racheter de l’Alsabrau qu’on mettrait au frais dans la glacière. On parlerait des tableaux de Claude et de la femme à Jérôme, on se taperait sur le bide. On irait pisser dans la mer en chantant « quand est prolétaire et qu’on a pas de pognon, on va pisser dans l’eau et ça nous fait des ronds! » On serait bien quoi.
Et il y aurait même une place pour vous M. le fiscalisateur, parce que si vous me filez un petit coup de pouce et qu’on arrive à s’arranger, je serais solidaire, y-a pas de raison, je vous mettrais quelques biftons de côté et on filerait à l’anglaise au camping des flots bleus. Parce qu’au fond, vous M. le fiscalisateur, Jéjé, Cloclo et moi on est pareils tous les quatre, on est des rusés, des filous, on a compris la musique. On est des renards.
J’espère que nous aurons réussi à nous comprendre sur ce coup-là et en vous adressant, M. le fiscalisateur, mes salutations les plus peinardes, je vous la souhaite bien bonne.
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