Présidé par le philosophe Abdennour Bidar, le projet Fraternité Générale prévoit une semaine d’animations culturelles partout en France en novembre prochain afin de mettre en acte « cette grande oubliée de la devise républicaine » a précisé l’auteur de Self Islam sur BFM TV et RMC le 20 septembre dernier. L’association, qui compte parmi ses ambassadeurs l’écrivain Alexandre Jardin, le sociologue Edgar Morin et des personnalités du monde audiovisuel se revendique comme un mouvement « apolitique et participatif » visant une « mobilisation générale » suite aux attentats qui ont ensanglanté la France afin que le peuple fraternise et se réapproprie la troisième vertu nationale. Selon son président, « on n’a jamais eu l’audace de faire de la fraternité un vrai projet politique ». Le philosophe en donne d’ailleurs une définition légèrement remaniée: « C’est la politique de la main tendue, du rejet du rejet à l’heure des tentations de repli sur soi, des pulsions identitaires, à l’heure où notre société souffre de fractures sociales avec des inégalités de plus en plus fortes mais également de fractures culturelles se cristallisant autour de l’islam ». En somme, il s’agit de chanter « l’ouverture à l’autre » et la « tolérance vis-à-vis de toutes les différences ».
Une fraternité culturelle
Ainsi, du 2 au 10 novembre, le mouvement Fraternité générale proposera des centaines d’événements culturels et sportifs pour « lutter contre les peurs ». Cafés et restaurants ouvriront leurs terrasses aux musiciens, slameurs et artistes de rue. Sur les murs offerts par les municipalités des graffeurs célébreront le vivre-ensemble. Des chaînes de télévision diffuseront une série de vidéoclips. L’école ne sera pas épargnée avec force projections de films, concours de poésie et réalisation d’affiches qui exalteront les différences. Toutes ces initiatives sont recensées sur un site consacré.
En France, la fraternité républicaine s’est toujours faite à coups d’épée. Ou plutôt de sabres, de canonnades et de guillotines tandis que la Commune de Paris imposait d’inscrire en 1793 sur tous les édifices publics « La République une et indivisible – Liberté, Égalité, Fraternité ou la mort ». A chaque fois que le terme de fraternité est brandi, c’est que la nation est au bord de la guerre civile. En ce sens, l’intuition d’Abdennour Bidar n’est peut-être pas mauvaise.
Mais pour le philosophe, la fraternité sera désormais festive ou ne sera pas. En effet, « ce mouvement spontané, issu d’un groupe d’amis et de cinéastes veut largement promouvoir la solidarité à travers la culture, le lien le puisant entre les gens ». Ainsi, le philosophe nous apprend que la chose culturelle serait le vrai ciment de la chose publique et de la fraternité nationale.
Il est certain que le programme de la huitaine s’annonce moins sanglant qu’une pleine semaine place de Révolution.
En décembre 1790, dans un discours à l’Assemblée Nationale, Robespierre déclarait: « Voyez comme partout, à la place de l’esprit de domination ou de servitude, naissent les sentiments de l’égalité, de la fraternité, de la confiance, et toutes vertus douces et généreuses qu’ils doivent nécessairement enfanter. » En matière de douceur, les années qui suivirent ne furent probablement pas les plus fécondes. Car il ne pouvait pas y avoir de fraternité pour les ennemis de l’égalité et les adversaires de la liberté.
Désormais, il ne saurait y avoir de fraternité pour les ennemis de la fête. La Fraternité Générale passe par l’expression culturelle. Elle n’est pas une devise morale mais une injonction artistique. Fraterniser, c’est adhérer à la festivalisation du pays, changé pour une semaine en une gigantesque Fête de l’Huma, Fête de la Musique ou Nuit Debout.
Culte des différences, l’impossible fraternité
Pas une seule fois la patrie n’est citée par les promoteurs du mouvement. La fraternité selon Bidar peut très bien s’en passer car elle n’est pas nationale mais universelle. Sa fraternité à lui n’est pas celle de la Déclaration des droits de l’homme et du citoyen, mais celle de la religion des droits de l’homme. Cette solidarité souriante et antiraciste revendiquée par le milieu culturel semble relever de la pensée magique. Assister à un concert tribal ou à un slam urbain produirait mécaniquement un sentiment fraternel.
Pourtant, la fraternité républicaine est autrement plus farouche et plus exigeante. Si la fratrie familiale est une évidence de naissance, la fratrie nationale se construit. On ne nait pas frère de nation, on le devient. Et souvent par la violence – celle des guerres révolutionnaires ou celle de l’assimilation, qui est toujours un renoncement contraignant à l’identité première dans le but de se fondre dans l’identité nationale, qui seule est capable de produire une fraternité publique pérenne.
Fustigeant le « repli identitaire », Abdennadour Bidar exalte au contraire la différence et l’ouverture. Elles sont pourtant les deux plus grandes ennemies de l’idéal fraternel de la Nation qui a toujours cherché à définir ses contours identitaires et territoriaux, ayant compris depuis toujours que les différences sont fratricides.
Ainsi, au lieu de chercher le dénominateur commun que seule la patrie peut incarner, le mouvement cultive les particularismes, qui sont toujours source de conflit.
Rechercher la concorde grâce à nos seules différences est une gageure. Au fond, pour Abdennour Bidar, nous devrions être frères par le simple fait de n’avoir rien en commun.
Fraternité générale ressemble davantage à un réflexe antiraciste qu’une réflexion civique sérieuse. Alors que la grande interrogation nationale consiste à savoir si l’Oumma est oui ou non plus forte que la communauté nationale aux yeux des musulmans, une poignée d’intellectuels nous divertissent avec un projet du niveau d’une campagne publicitaire Benetton.
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