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Franz Bartelt, moraliste de guingois

«Je ne suis pas malheureux» de Franz Bartelt (Le Dilettante, 2023)


Franz Bartelt, moraliste de guingois
L'écrivain français Franz Bartelt © Myona-Rimoldi-Guichaoua / Le Dilettante

L’écrivain Franz Bartelt nous offre un recueil de nouvelles tragiquement réjouissantes au Dilettante…


Un nouveau Bartelt fera assurément le printemps des librairies. C’est l’une des dernières valeurs sûres de l’édition française. Chacun de ses livres nous apporte ce délicieux goût pour le désenchantement sardonique et la farce triste. Il traque l’absurde et le tragicomique dans les foyers les plus communs, les plus conventionnels, les plus transparents, les plus étrangers à l’originalité. Donnez-lui un sujet aussi essoré que le couple, le désir, les notaires, le féminisme, l’humanitaire ou la jalousie dans un milieu quelconque, par exemple, une France moyenne périurbaine où le quotidien lénifiant l’emporte sur les grandes ambitions, et Franz Bartelt vous décortique les « petites gens » avec un humour féroce et appliqué. Il fait un carton dans les zones semi-rurales et l’enfer pavillonnaire.

Le Dilettante

Tolstoï tendance Groucho Marx

Dans la dizaine de nouvelles réunies au Dilettante sous le titre âcre et rogue Je ne suis pas malheureux, il s’en donne à cœur joie dans l’analyse noire des comportements humains et leur irrémédiable échec. Y-a-t-il une philosophie « barteltienne » ? Une morale scintillante qui nous éclairerait sur la vie de nos contemporains, des motifs d’espérer ou de croire en son prochain ? L’écrivain des bords de la Meuse, sorte de Tolstoï tendance Groucho Marx, pratique, sans en avoir l’air, une littérature hautement révolutionnaire, un brin nihiliste.

N’attendez pas de lui des théories brumeuses sur le « vivre ensemble » et la revanche des travailleurs en proie aux forces capitalistes. Bartelt travaille sur la psychologie de personnages bancals, ébréchés par la vie, sur le fil du dérisoire, à la frontière du pathétique ; il met alors en place un dispositif narratif implacable, presque suffocant, pour nous amuser d’abord et aussi, nous faire réfléchir. Aucun autre écrivain français ne décrit aussi bien la vacuité des temps modernes et l’incompatibilité des relations entre les hommes et les femmes.

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On sort de cette lecture, abattu et riant, désolé et follement excité par son art du désastre en marche, ébloui par la dérive des sentiments. Bartelt, comme ses glorieux aînés, Emmanuel Bove ou Henri Calet, ne juge pas sa bande de bras-cassés et de malheureux pathologiques, il ne les sermonne pas, ne tente pas de les faire adhérer au système, de les rendre meilleur, de les élever, il chérit même leur côté reclus et possédé. Avec Bartelt, nous sommes tous prisonniers d’un élan amoureux, d’une foucade de jeunesse, d’une lubie invraisemblable, que rien ne peut venir contrarier. Nous sommes mus intérieurement par une machine déphasée, elle nous pousse à agir d’une façon proprement insensée. C’est le cas de Martin Vanoutte, héros patient de la première nouvelle de ce recueil qui s’est entiché de Blanche Dodinot, avec une force terrible, presque surhumaine, de Don Quichotte. Il va consacrer son existence à vivre par contumace, à l’observer d’une fenêtre et à récolter quelques miettes d’un bonheur en pointillé, baisers épistolaires et rapprochements furtifs. Est-ce une victime, un simple d’esprit ou un chevalier ?

Conteur narquois

Bartelt est un maître retors, il brouille sans cesse les cartes du réel, la fatalité des gens ordinaires nous interroge sur notre propre rapport à la normalité. Les fidèles de ce Desproges des terres abandonnées retrouveront son style de conteur narquois et désopilant, ce second degré qui nous cueille lorsqu’on ne s’y attend pas. Il écrit sérieusement, sincèrement, se fait souvent le porte-voix de minables patentés qui s’ignorent, restitue ainsi leurs plus secrètes pensées et, en une formule, il vient dégoupiller le sérieux d’une confession. Nous aimons Bartelt, nous le suivons depuis très longtemps, justement pour savourer ses aphorismes qui sont chargés d’une humeur vipérine ou tendre. Je n’ai jamais réussi à trancher la question.

Quand il écrit: « L’acte sexuel consomme un steak haché au quart d’heure » ; « Regardez, c’est l’épouse d’un chef comptable ! » ; « L’orphelin véritable doit pouvoir se vanter de n’avoir jamais connu ses parents » ou « Ils regardaient le plafond ensemble. C’était bon comme l’amour » : nous jubilons, tout simplement.

Je ne suis pas malheureux de Franz Bartelt, Le Dilettante, 256 pages.

Je ne suis pas malheureux

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Journaliste et écrivain. À paraître : "Tendre est la province", Éditions Equateurs, 2024

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