Françoise Theillou dans Je pense à votre destin raconte un autre Malraux, celui qui aima la jeune Josette Clotis dont il aura deux fils sans pour autant quitter Clara, l’épouse légitime.
C’est l’histoire d’une passion contrariée, pour ne pas dire à sens unique. Nous sommes au début des années 1930. André Malraux est un fougueux écrivain-voyageur, un peu voleur, assez mythomane, très talentueux. Gaston Gallimard le protège et finance son tour du monde. Sur les conseils d’André Gide, l’illustre éditeur a mis à la tête de La Galerie de la NRF, sa dernière création, l’auteur des Conquérants. Malraux a du souffle, mais il en possède davantage quand il voyage. Et puis, il faut bien concurrencer l’autre écrivain, bourlingueur en veste de tweed, survolté, pessimiste, édité par Bernard Grasset, Paul Morand.
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Retour de Chine
Malraux rentre de Chine, tient son grand roman, La Condition humaine, dont il révèle le titre à son épouse, Clara. Avec elle, il partage les idées et de moins en moins les caresses. Elle a trente-cinq ans, elle veut un enfant. Malraux a écrit, dans Le Temps du mépris : « Les hommes n’ont pas d’enfant. » Ce serait, selon lui, donner des gages à la société ! Le 28 mars 1933, la petite Florence naît toutefois. Quelques mois auparavant, dans les couloirs de Gallimard, Malraux a fait la connaissance d’une jeune femme blonde et longiligne aux yeux pers, Josette Clotis. C’est une provinciale, assez exaltée, qui va écrire quelques romans oubliés aujourd’hui. Malraux lui fait la cour, l’invite régulièrement à déjeuner au Ritz.
18 décembre, hôtel d’Orsay
Il obtient le Goncourt pour La condition humaine, et couche pour la première fois avec Josette le 18 décembre, à l’hôtel d’Orsay. Il ne cessera de la vouvoyer. Elle l’aimera et le détestera tout autant. C’est un amant timide, peu sensuel, préoccupé par l’écriture et l’engagement militaire, le parfait modèle du mâle dominant, si l’on peut dire. Elle en souffre beaucoup. Et pourtant, elle ne le quitte pas. Clara avait compris qu’il « fallait qu’il vécût son rêve ». Cela exigeait beaucoup de sacrifices. Dans La Condition humaine, Malraux fait dire à Valérie : « Les hommes ont des voyages, les femmes ont des amants. » Il faut toujours lire les écrivains pour les comprendre.
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Dans son ouvrage, Je pense à votre destin, Françoise Theillou, spécialiste d’André Malraux, nous raconte cette histoire d’amour singulière, qui n’atteint cependant pas la passion volcanique de celle vécue par Albert Camus et Maria Casarès. Elle nous rappelle les grands épisodes de la vie de Malraux, notamment son engagement tardif, mais courageux dans la Résistance, jusqu’à la mort accidentelle et affreuse de Josette Clotis, en septembre 1944, après qu’elle eut donné deux fils à l’écrivain. Il y a une scène cocasse qui est racontée par l’auteure concernant André Gide, « réfugié » comme beaucoup d’écrivains de la NRF, à commencer par Malraux, dans le sud de la France. Gide, invité par Josette et André à déjeuner, « arrive, tassé dans un incroyable costume rouge, taillé, explique-t-il, dans un lainage offert par Staline lors de son voyage en URSS. »
Le reste de l’ouvrage est beaucoup moins pittoresque, surtout quand Françoise Theillou cite Josette : « Je ressors de sept ans de vie – dont j’ai tant cru que c’était un destin – comme de l’eau lustrale du baptême. J’ai été nourrie, logée, blanchie. J’ai vieilli de sept ans. Pour le reste, c’est comme si j’avais rêvé. Pas un objet que nous ayons accepté ensemble, une maison, un loyer, un lit contre un mur, une concierge. » Et peut-être le pire : « Pas une ligne, une note, un mot dans ses écrits qui me concerne. » Sur son lit d’agonie, pourtant, elle demande : « Maquillez-moi bien parce qu’il va venir et que je veux qu’il me voie comme autrefois. »
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Leurs deux fils mourront ensemble dans un accident de la route, le 23 mai 1961. Ils sont enterrés aux côtés de leur mère, dans le petit cimetière parisien de Saint-Germain de Charonne aux allures de province. En contrebas, il y a la tombe de Robert Brasillach, écrivain fasciste dont la grâce fut refusée par de Gaulle. Il fut fusillé le 6 février 1945, au fort de Montrouge. Curieux clin d’œil du destin que Malraux voulait dominer. L’auteur des Chênes qu’on abat…, autoproclamé « Colonel Berger », fait graver sur la tombe de Josette et de ses deux fils : Josette Malraux-Clotis. Le visage ravagé de tics, les mains agitées, il se recueille, et de sa voix au tremolo inimitable, il dit : « Elle ne l’a pas volé. »
Françoise Theillou, Je pense à votre destin, André Malraux et Josette Clotis – 1933-1934, suivi d’inédits d’André Malraux, Grasset.
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