Françoise Hardy a le blues : depuis que François Hollande a annoncé la très controversée mesure fiscale de taxation des riches à 75% – pour les revenus supérieurs à un million d’euros par an -, l’égérie des sixties a les idées noires. Souvenez-vous de ses déclarations à Paris Match en avril 2012 : « Je paye 40 000 euros d’ISF par an. Si Hollande le multiplie par trois, qu’est-ce que je fais ? Je suis à la rue […] Je suis forcée de vendre mon appartement et de déménager ». Depardieu l’a bien fait, avec panache, alors pour respecter la parité, pourquoi ne pas le suivre, Françoise ? Non vraiment, en ce moment, il ne fait pas bon porter les initiales F.H. en France. Mais en vérité, la chanteuse a toujours eu le blues, à l’image du personnage de Carole Laure dans le mémorable film de Blier Préparez vos mouchoirs. Et la compilation qui sort ces jours-ci, la bien nommée Midnight Blues – Paris London 1968/1972, en témoigne. L’objet, regroupant 24 titres – essentiellement des reprises – enregistrés dans le Swinging London, offre un condensé de la mélancolie romantique caractéristique de la chanteuse (mention spéciale à « The Garden of Jane Delawney », signée Toby Boshell, et « Take my hand for a while » de Buffy Sainte-Marie). Parmi les artistes repris, Randy Newman (magnifique « I think it’s Gonna rain today ») côtoie Neil Young et Leonard Cohen notamment.
Le tout s’écoute à la lueur du dernier néon de soleil, loin des ambianceurs professionnels de la nuit. C’est beau une ville silencieuse la nuit, avec le filet de voix de Françoise Hardy pour seul souffle lumineux, dans une langue étrangère. A l’heure où la jeune génération des artistes d’ici chante en anglais sans complexe, la mère de Thomas Dutronc pratiquait l’exercice dès le début des années 1960 puisque son premier disque, « Tous les garçons et les filles » l’a rendue populaire à l’international. Les idoles de la variété française s’exportaient massivement à cette époque (Joe Dassin, Gainsbourg, Dalida, Mireille Mathieu, Johnny, Sylvie Vartan, etc.) et Françoise a réussi l’exploit d’entrer dans le Top 20 des charts britanniques en 1965 avec « All Over the world », adaptation anglaise de son titre « Dans le monde entier ».
L’icône des sixties reconvertie aujourd’hui en écrivain à succès manie la langue de Shakespeare avec son naturel légendaire et ne garde d’ailleurs jamais sa langue française dans sa poche (franchise qui constitue son deuxième charme légendaire). Le langage de Françoise Hardy, c’est le franc-parler : Dominique A n’est pas sa tasse de thé, Zazie lui a écrit des paroles truffées de lieux communs, Biolay était meilleur quand il n’avait pas de succès, etc. Cette femme a décidemment beaucoup de bon sens, elle devrait être directeur artistique… si ce noble métier existait encore. Les auditions d’antan sont devenues des castings de Foire du Trône, bienvenue dans le monde normal.
Françoise Hardy a atteint à l’âge de vingt-cinq ans la dimension d’une figure incontournable de la culture pop. Son rayonnement mélancolique ne s’est jamais démenti depuis : elle a traversé les années 1980 avec une désinvolture géniale de circonstance (« Voyou, voyou », « Tamalou », « Jamais synchrones », « Tirez pas sur l’ambulance ») et l’album Le Danger – publié en 1996 – reste l’un des meilleurs disques français de ses vingt dernières années.
L’endive du twist, comme la surnommait Bouvard dans les années 1960, a traîné avec les Beatles et les Rolling Stones. Elle a lié amitié avec Nick Drake, a chanté avec – entre autres – Damon Albarn et Patrick Dewaere. Bob Dylan lui a dédié un poème, Michel Berger lui a écrit des chansons…
De quoi avoir le blues, en effet. Pour notre plus grand plaisir.
Françoise Hardy, Midnight Blues – Paris London 1968/1972
*Photo : quicheisinsane.
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